Page:Va toujours.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Au revoir. Monsieur, je vous prie d’excuser ma hâte à retourner à une besogne pour laquelle les journées sont trop courtes. Sœur Javote va vous reconduire et retourner elle-même au travail. Elle aura permission ce soir de procéder à l’installation de son frère.

— Madame la Supérieure, je vous salue, fit René tout à fait charmé d’un résultat si facile.

Quand ils furent dans la rue, marchant l’un près de l’autre, il dit :

— Mon ami Charles, vous êtes un personnage à transformations, n’avez-vous jamais été comédien ?

— Non, Monsieur, mais j’ai été élevé par une mère qui ne m’a enseigné, des trois rôles que j’ai joué devant vous, que le dernier. Celui d’à présent.

— Qu’était votre mère ?

— La fille du concierge de la Marquise de Sacépée. Sa maîtresse, très bonne pour elle, l’admettait souvent dans son intimité. Là elle prit des manières, oserais-je dire, du grand monde et elle m’enseigna à parler, lire, écrire, prier. Ma sœur, plus âgée que moi, entra toute jeune au couvent pendant mon service militaire. Mes grands parents moururent à la même époque.

— De sorte que vous n’avez plus aucune famille.

— J’en ai encore, comme tout le monde, un oncle qui était sacristain à Laufen, entretenait la tombe de la Famille Sacépée, et fit la translation de ses restes quand on changea le cimetière de ce lieu. Il entourait l’église et la place manquait. Mais moi je ne vis rien de ça. À quoi bon rechercher ceux qui connurent l’enfant que je fus. J’ai trouvé ici un protecteur providentiel. Avec la pieuse Javote, il est tout pour moi.

— Puisque vous ne devez rentrer que ce soir au couvent, retournez chez moi, si vous voulez, j’ai quelques visites à faire en ville.

Ils se séparèrent au grand pont, Charles passa l’eau, fier, heureux, remonté dans sa propre estime. Les bons errements, semés jadis dans son cœur, avaient chassé les mauvais démons. Puisqu’il était libre jusqu’au soir, il voulut retourner au Champ des Martyrs, aller à la chapelle de la Vierge, traverser cette route — son chemin de Damas — maintenant qu’il était régénéré. Il n’y rencontra personne, s’il y avait des bandits aux aguets, ils ne s’attaqueraient pas à un ouvrier. Il s’écroula à genoux devant les tombeaux, peut-être un des siens, — parent inconnu — avait péri là, peut-être était-ce son âme qui avait suscité près de lui l’homme de bien qui