Page:Va toujours.djvu/26

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— La mère de l’Emir s’appelait Zohra. C’était une Musulmane instruite, intelligente, pour laquelle son fiis professait un profond respect et un tendre attachement.

— Pourquoi disais-tu : lui aussi ?

— Eh bien, lorsque vaincu, prisonnier, le fier Algérien vint à Versailles, on lui faisait visiter les merveilles du palais de Louis XIV, croyant l’éblouir, mais il regardait gravement les choses en silence. Sa main effleurait de temps à autres la tête de la grande chienne qui ne le quittait pas, laquelle, afin de pouvoir prononcer souvent à haute voix le nom de sa mère, il avait appelée Zohra. Agacé de l’indifférence du noble Africain, l’officier français qui le promenait, l’arrêta un instant dans la galerie des glaces et lui désignant du geste la splendeur de l’entourage, il demanda :

— De tout ce que vous avez vu en France, Emir, qu’est-ce qui vous a le plus frappé ?

— C’est de m’y voir, riposta Ab-del-Kader, sans sourire. Et il ajouta à mi-voix en arabe : n’est-ce pas Zohra ?

La bête se dressa sur ses pattes de derrière, sa tête atteignait l’épaule de son ami.

— Azor est donc un descendant de Zohra ?

— Oui. A l’époque, 1847, je crois, je passais à Ambroise où était interné l’émir, un soldat descendait du château tenant dans une corbeille des petits chiens gémissants qui venaient de naître et il allait les lancer dans la Loire.

— Grâce pour un ! dis-je en donnant au porteur quelques sous et je choisis Azor.

— Les animaux sont toujours mêlés à la vie des hommes. Beaucoup de grands saints eurent des amis parmi eux.

— Souvent des plus étranges, tante Nic, tu as ta chatte, j’ai mon chien. Saint Antoine avait son...

La sonnette de la rue, en ce moment, retentit très fort. Denise se hâta vers l’entrée. René s’enfuit dans sa chambre et Nicole eut un sourire pour une vieille pauvresse qu’on appelait la Dame Blanche, parce qu’elle était très pâle et très propre. Elle venait dîner tous les mardis et elle emportait les reliefs de la nourriture réservés pour elle. Une autre mendiante : la mère Lano, venait le vendredi, elle aussi, aux provisions, la charité de Nicole n’avait de limite que l’impossible.