Page:Va toujours.djvu/32

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coup de vent agita les rameaux qui balayèrent la corbeille pleine, les fruits dégringolèrent dans la rue juste au passage des officiers. Yves éclata de rire,

— Bravo et merci, mon garçon, j’en goûte une.

Au même moment arrivaient en sens inverse sur la route. Mesdemoiselles d’Allencourt, les pommes roulaient à leurs pieds.

— Les belles pommes rouges, dit Clodlde, ce jardin serait-il une réplique du Paradis terrestre, moins le serpent.

— Qui sait, fit le joyeux Kerguistel qui avait entendu. René Semtel saluait. Clotilde amusée dit avec un sourire :

— Nos rencontres, Monsieur, sont toujours panachées d’imprévu.

— Plus que vous ne pensez, se dit René à lui-même.

Pourvu qu’elles ne reconnaissent pas le jardinier.

L’homme enjambant le mur avait sauté dans la rue afin de ramasser ses fruits. Ses yeux rencontrèrent ceux de son protecteur. Il avait lui aussi l’appréhension de cette rencontre, mais non fondée, les jeunes personnes ne le remarquaient pas. Le général, fort galant, avait relevé une superbe pomme, il la frottait avec ses gants pour en enlever la poussière et l’offrait à Mlle Clotilde :

— On dit : Ce qui tombe au fossé est pour le soldat », je pense que ce qui tombe sur le trottoir est pour le passant. N’est-ce pas jardinier... ? Tiens, mais je te connais, toi, mon brave.

— Oui, mon Général, et moi aussi je ne vous ai pas oublié.

— Tu es bien Charles Chat, n’est-ce pas ?

— Oui, mon Général, répondit celui-ci la main au front figé dans le salut militaire.

René avait eu peur un instant, mais il fut vite rassuré, son ami tendait la main à l’ex-soldat en disant :

— Semtel, je te présente un garçon qui m’a tout simplement sauvé la vie là-bas, au désert, en me portant quand j’avais la cuisse cassée, pendant au moins un kilomètre sur son dos, à travers le sable brûlant, jusqu’à l’ambulance.

A ces mots, René eut un véritable élan de joie, d’un geste vif, il serra chaudement la main du jardinier. Sa conscience était soulagée et le pauvre Charles avait grand peine à contenir son émotion.

Cependant la rafale qui avait fait tomber la corbeille de pommes, amenait de larges gouttes d’eau, tandis que des roulements de tonnerre traversaient le ciel.

— Abritons-nous au couvent, proposa l’ancien officier, voilà un grain. Les bonnes soeurs sont hospitalières aux pèlerins.