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conversation de phina et de godfrey.

agent de change, il n’en fallait pas davantage. Puis William W. Kolderup s’occuperait d’une autre « combinaison », qui lui tenait bien autrement au cœur.

Oui ! elle et lui étaient dans le salon : elle, devant son piano ; lui, à demi étendu sur un canapé, écoutant vaguement les notes perlées des arpèges, qui s’échappaient des doigts de cette charmante personne.

« M’écoutes-tu ? dit-elle.

— Sans doute.

— Oui ! mais m’entends-tu ?

— Si je t’entends, Phina ! Jamais tu n’as si bien joué ces variations de l’Auld Robin Gray.

— Ce n’est pas Auld Robin Gray que je joue, Godfrey… c’est Happy moment

— Ah ! j’avais cru ! » répondit Godfrey d’un ton d’indifférence, auquel il eût été difficile de se méprendre.

La jeune fille leva ses deux mains, laissa un instant ses doigts écartés, suspendus au-dessus du clavier, comme s’ils allaient retomber pour saisir un accord. Puis, donnant un demi-tour à son tabouret, elle resta, quelques instants, à regarder le trop tranquille Godfrey, dont les regards cherchèrent à éviter les siens.

Phina Hollaney était la filleule de William W. Kolderup. Orpheline, élevée par ses soins, il lui avait donné le droit de se considérer comme sa fille, le devoir de l’aimer comme un père. Elle n’y manquait pas.

C’était une jeune personne, « jolie à sa manière », comme on dit, mais à coup sûr charmante, une blonde de seize ans avec des idées de brune, ce qui se lisait dans le cristal de ses yeux d’un bleu noir. Nous ne saurions manquer de la comparer à un lis, puisque c’est une comparaison invariablement employée dans la meilleure société pour désigner les beautés américaines. C’était donc un lis, si vous le voulez bien, mais un lis greffé sur quelque églantier résistant et solide. Certainement elle avait beaucoup de cœur, cette jeune miss, mais elle avait aussi beaucoup d’esprit pratique, une allure très personnelle, et ne se laissait pas entraîner plus qu’il ne convenait dans les illusions ou les rêves qui sont de son sexe et de son âge.

Les rêves, c’est bien quand on dort, non quand on veille. Or, elle ne dormait pas, en ce moment, et ne songeait aucunement à dormir.

« Godfrey ? reprit-elle.