Page:Verne - L’École des Robinsons - Le Rayon vert.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
l’école des robinsons

— Phina ? répondit le jeune homme.

— Où es-tu, maintenant ?

— Près de toi… dans ce salon…

— Non, pas près de moi, Godfrey ! Pas dans ce salon !… Mais loin, bien loin… au delà des mers, n’est-ce pas ? »

Et machinalement, la main de Phina, cherchant le clavier, s’égara en une série de septièmes diminuées, dont la tristesse en disait long et que ne comprit peut-être pas le neveu de William W. Kolderup.

Car tel était ce jeune homme, tel le lien de parenté qui l’unissait au riche maître de céans. Fils d’une sœur de cet acheteur d’île, sans parents, depuis bien des années, Godfrey Morgan avait été, comme Phina, élevé dans la maison de son oncle, auquel la fièvre des affaires n’avait jamais laissé une intermittence pour songer à se marier.

Godfrey comptait alors vingt-deux ans. Son éducation achevée l’avait laissé absolument oisif. Gradué d’université, il n’en était pas beaucoup plus savant pour cela. La vie ne lui ouvrait que des voies de communication faciles. Il pouvait prendre à droite, à gauche : cela le mènerait toujours quelque part, où la fortune ne lui manquerait pas.

D’ailleurs Godfrey était bien de sa personne, distingué, élégant, n’ayant jamais passé sa cravate dans une bague, et ne constellant ni ses doigts, ni ses manchettes, ni le plastron de sa chemise, de toutes les fantaisies joaillières, si appréciées de ses concitoyens.

Je ne surprendrai personne en disant que Godfrey Morgan devait épouser Phina Hollaney. Aurait-il pu en être autrement ? Toutes les convenances y étaient. D’ailleurs, William W. Kolderup voulait ce mariage. Il assurait ainsi sa fortune aux deux êtres qu’il chérissait le plus au monde, sans compter que Phina plaisait à Godfrey, et que Godfrey ne déplaisait point à Phina. Il fallait qu’il en fût ainsi pour la bonne comptabilité de la maison de commerce. Depuis leur naissance, un compte était ouvert au jeune homme, un autre à la jeune fille : il n’y avait plus qu’à les solder, à passer les écritures d’un compte nouveau pour les deux époux. Le digne négociant espérait bien que cela se ferait fin courant, et que la situation serait définitivement balancée, sauf erreur ou omission.

Or, précisément, il y avait omission, et peut-être erreur, ainsi qu’on va le démontrer.

Erreur, puisque Godfrey ne se sentait pas encore tout à fait mûr pour la