Aller au contenu

Page:Verne - Une ville flottante, 1872.djvu/281

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
de trois russes et de trois anglais

lions à crinière noire. Ces bêtes-là appartiennent donc à l’espèce la plus féroce et la plus dangereuse. Nous aurons soin de bien nous tenir. Je vous recommande d’éviter le premier bond de ces animaux, qui peuvent franchir, d’un saut, de seize à vingt pas. Leur premier coup manqué, il est rare qu’ils redoublent. J’en parle par expérience. Comme ils rentrent à leur tanière à la reprise du jour, c’est là que nous les attaquerons. Mais ils se défendront, et se défendront bien. Je vous dirai qu’au matin, les lions, bien repus, sont moins féroces, et peut-être moins braves ; c’est une question d’estomac. C’est aussi une question de lieu, car ils sont plus timides dans les régions où l’homme les harcelle sans cesse. Mais ici, en pays sauvage, ils auront toutes les férocités de la sauvagerie. Je vous recommanderai aussi, messieurs, de bien évaluer vos distances avant de tirer. Laissez l’animal s’approcher, ne faites feu qu’à coup sûr, et visez au défaut de l’épaule. J’ajouterai que nous laisserons nos chevaux en arrière. Ces animaux s’effraient en présence du lion et compromettent la sûreté de leur cavalier. C’est à pied que nous combattrons, et je compte que le sang-froid ne vous fera pas défaut. »

Les compagnons du bushman avaient écouté silencieusement la recommandation du chasseur. Mokoum était redevenu l’homme patient des chasses. Il savait que l’affaire serait grave. Si, en effet, le lion ne se jette pas ordinairement sur l’homme qui passe sans le provoquer, sa fureur est, du moins, portée au plus haut point dès qu’il se sent attaqué. C’est alors une bête terrible, à laquelle la nature a donné la souplesse pour bondir, la force pour briser, la colère qui la rend formidable. Aussi, le bushman recommanda-t-il aux Européens de garder leur sang-froid, et surtout à sir John, qui se laissait parfois emporter par son audace.

« Tirez un lion, lui dit-il, comme vous tireriez un perdreau, sans plus d’émotion. Tout est là ! »

Tout est là, en effet. Mais qui peut répondre, quand il n’est pas aguerri par l’habitude, de conserver son sang-froid en présence d’un lion.

À quatre heures du matin, les chasseurs, après avoir solidement attaché leurs chevaux au milieu d’un épais taillis, quittèrent le lieu de halte. Le jour ne se faisait pas encore. Quelques nuances rougeâtres flottaient dans les brumes de l’est. L’obscurité était profonde.

Le bushman recommanda à ses compagnons de visiter leurs armes. Sir John Murray et lui, armés chacun d’une carabine se chargeant par la culasse, n’eurent qu’à glisser dans le tonnerre la cartouche à culot de cuivre, et à essayer si le chasse-cartouche fonctionnait bien. Michel Zorn et William Emery, porteurs de rifles rayés, renouvelèrent les amorces que l’humidité de la nuit pouvait avoir endommagées. Quant aux trois indigènes,