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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/137

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CARNÉADE. — SA VIE ET SA DOCTRINE.

ces bêtes féroces qui ne reculent que pour revenir ensuite plus menaçantes et plus irrésistibles. Puis, quand il était vainqueur, il paraissait publier ce qu’il avait dit : il avait ce suprême dédain de faire peu de cas de ses meilleurs arguments et de se montrer supérieur même à sa victoire. Ajoutez à tant de qualités diverses qu’il avait de l’esprit, que ses réparties étaient fines et promptes, qu’il était servi par une voix d’une puissance extraordinaire. Aussi, dit Numénius, entrainait-il les âmes et les mettait-il à ses pieds ; les mieux préparés et les plus exercés ne pouvaient tenir un instant devant lui.

II. L’enseignement de Carnéade, autant que nous en pouvons juger par les documents qui nous sont parvenus, portait sur trois points principaux : la théorie de la certitude, l’existence des dieux, le souverain bien. Zeller[1] et, après lui, Maccoll[2], ont cru pouvoir distinguer dans cet enseignement deux parties : l’une destructive et négative, la réfutation du dogmatisme ; l’autre constructive et positive, rétablissement du probabilisme. Nous ne suivrons pas cet exemple, parce qu’une telle division exagère, selon nous, le caractère et l’importance du probabilisme, tel que l’a conçu Carnéade, et, d’autre part, parce qu’en religion et en morale, le philosophe n’a été, croyons-nous, conduit à aucune conclusion positive.

1o Théorie de la certitude. Il n’y a point de critérium de la vérité, voilà ce que Carnéade voulait établir, non seulement contre les stoïciens, mais en général contre tous les dogmatistes[3].

Le critérium ne se trouve ni dans la raison ni dans les sens, car la raison et les sens nous trompent souvent : la rame plongée dans l’eau, la diversité des nuances du cou de la colombe vu au soleil en sont les preuves[4].

  1. Loc. cit.
  2. The greek sceptics, p. 42 (London and Cambridge, Macmillan, 1869).
  3. Sext., M., VII, 159.
  4. Cic., Ac., II, xxv, 79.