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ÆNÉSIDÈME. — HÉRACLITÉISME.

Timon et d’Ænésidème. Son ambition paraît être de faire du scepticisme un système aussi ancien que les philosophies les plus illustres : nul doute que, s’il avait pu placer sous le patronage d’Ænésidème la théorie qui admet la prévision des phénomènes et une règle de connaissance empirique, il eût agi à l’égard de cette théorie comme à l’égard de la théorie des causes et des signes.

Enfin, il suffit de lire sans parti pris le texte de Sextus pour dissiper toute illusion. Dans ces paroles : προηγεῖται τοῦ τἀναντία περὶ τὸ αὐτὸ ὑπάρχειν τὸ τἀναντία περὶ τὸ αὐτὸ φαίνεσθαι, καὶ οἱ μὲν σκεπτικοὶ φαίνεσθαι λέγουσι τὰ ἐναντία περὶ τὸ αὐτὸ, οἱ δὲ Ἡρακλείτειοι ἀπὸ τούτου καὶ ἐπὶ τὸ ὑπάρχειν αὐτὰ μετέρχονται, comment croire que ὑπάρχειν περὶ τὸ αὐτὸ si clairement opposé à φαίνεσθαι ne désigne pas une existence substantielle, réelle, en dehors de la pensée et des phénomènes ? Comment les mots ἀπὸ τούτου καὶ ἐπὶ τὸ ὑπάρχειν αὐτὰ μετέρχονται ne désigneraient-ils pas avec la dernière évidence le passage du point de vue phénoméniste au point de vue dogmatique ? Personne ne soutiendra que les héraclitéens soient phénoménistes : Ænésidème, s’il est d’accord avec eux, ne l’est pas non plus.

Natorp a bien compris que c’est ici le point faible de sa thèse. Il tente d’expliquer comment Ænésidème a pu dire que les contraires existent (ὑπάρχειν) ensemble, quoiqu’il déclare explicitement ailleurs[1] que cela est impossible. Suivant Natorp, si toutefois nous le comprenons bien, Ænésidème argumentant contre les dogmatistes prouve que la même chose en même temps est et n’est pas, ce qui est absurde. Cet argument atteint les dogmatistes, car, dans tous leurs raisonnements sur les choses, ils se fondent sur le principe de contradiction. Mais il n’atteint pas celui qui ne s’appuie pas sur ce principe, et accorde que les contraires coexistent. Ænésidème s’est placé un instant au point de vue des dogmatistes, il s’est prêté à leur manière de voir ; les ayant réfutés au nom de leurs principes, il reprend sa liberté ;

  1. M. VIII, 52 : … Ἀδύνατον τὸ αὐτὸ καὶ εἶναι καὶ μὴ εἶναι.