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LIVRE IV. — CHAPITRE IV.

ignore ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est bien et ce qui est mal, et alors il faut dire que tout est incompréhensible ; ou on peut faire clairement cette distinction, soit par les sens, soit par la raison, et alors il faut dire avec les autres philosophes que tout est compréhensible.

Sextus Empiricus[1] reprend les mêmes arguments, et en ajoute un autre. Tandis que les académiciens distinguent des degrés dans la probabilité, les sceptiques déclarent que toutes les représentations sont égales, et qu’aucune ne mérite l’assentiment. Il est vrai que dans la vie pratique il faut choisir entre le bien et le mal. Mais ce choix, les académiciens le font parce que le bien leur paraît plus vraisemblable ; les sceptiques le font sans se prononcer, sans opinion (ἀδοξάστως), simplement pour ne pas rester inactifs. Par suite, on peut bien dire que sceptiques et académiciens donnent également leur assentiment à certaines représentations ; mais Carnéade et Clitomaque le donnent de propos délibéré, par réflexion ; ils le donnent de tout cœur[2] (μετὰ προσκλίσεως σφοδρᾶς). Les sceptiques suivent leurs idées sans conviction et sans choix ; ils se bornent à ne pas résister ; ils obéissent à la coutume et à leurs instincts, presque machinalement, comme l’enfant suit son pédagogue.

Nous ne sommes pas surpris que ces raisons n’aient pas paru décisives aux anciens, et qu’on ait persisté à mettre les académiciens et les sceptiques à peu près sur le même rang. Incontestablement la position prise par les sceptiques est au point de vue logique plus facile à défendre. N’affirmant rien au delà des phénomènes actuellement donnés, ils ne donnent aucune prise. Il est plus rigoureux de dire : Je ne sais pas s’il y a une vérité, que d’affirmer qu’il n’y en a pas. Mais si, négligeant la forme extérieure de l’argument, on va au fond des choses, il faut bien convenir que les deux théories reviennent au même[3]. Ni l’une

  1. P., I, 226.
  2. P., I, 230.
  3. Nous ne pouvons nous empêcher de penser que Saisset (p. 71) prend un peu trop au sérieux la distinction faite par Ænésidème, et qu’il fait à ce philosophe la