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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/419

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CONCLUSION.

rien. Il ne faut pas, quand on nous a accordé un axiome, faire comme si nous l’avions arraché : quand nous avons fait appel à la bonne volonté, il ne faut pas attribuer tout l’honneur de la victoire à la nécessité. On ne saurait trop admirer la naïveté de certains dogmatistes, qui croient avoir vaincu le scepticisme au moment même où ils lui accordent tout ce qu’il demande, et chantent victoire au moment même où, ils sont ses prisonniers. Hâtons-nous d’ajouter que les grands dogmatistes n’ont pas commis une faute si grave. Jouffroy[1], pour ne citer qu’un exemple, déclarait avec son admirable sincérité que le scepticisme est théoriquement invincible.

La critique du scepticisme nous a conduit à un singulier résultat : il triomphe sur toute la ligne. Il a raison contre l’intuition ; il a raison contre le raisonnement ; il a raison contre l’intellectualisme. Bien plus, il serait aisé de montrer, si nous en avions le loisir, que, de tout temps, le dogmatisme ne s’est fait aucun scrupule d’employer le premier des arguments sceptiques contre l’empirisme ; on a plus d’une fois réfuté l’idéalisme a priori à l’aide du second argument ; et, si on ne peut dire que le dogmatisme ait toujours eu recours au troisième, du moins certains philosophes, tels que les stoïciens et Descartes, n’ont pas craint d’admettre, d’accord en cela avec les sceptiques, que la nécessité ne décide pas toute seule de nos croyances, et même de la certitude ; elles dépendent, au moins pour une part, de la volonté.

Pourtant, il est impossible de s’en tenir là. Il faut maintenant tourner la médaille et voir le revers.


II. L’histoire nous montre que, de tout temps, les sceptiques ont été bien peu nombreux. Malgré la force de leurs arguments, à laquelle nous venons de rendre pleine justice, il ne semble pas que les pyrrhoniens soient jamais parvenus à se faire prendre au sérieux. C’est à peine si on peut dire qu’ils ont fait école.

  1. Mélanges, Du scepticisme.