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Page:Victor Brochard - Les Sceptiques grecs.djvu/424

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CONCLUSION.

pas l’excuse de croire vraies les idées qu’il sait : il sait à quoi s’en tenir. C’est bien moins que la foi du charbonnier. Mais, si réduit, si chétif qu’il soit, ce dogmatisme enfantin est un dogmatisme. C’est vainement que le pyrrhonien se flatte d’échapper à la contradiction.

Quant à la nouvelle Académie, elle dogmatise de son propre aveu. Elle dogmatise avec mesure, prudemment, à bon escient. Elle déclare que la vérité existe, quoique nous ne soyons jamais sûrs de la posséder : loin de nous décourager, elle veut que nous ne cessions pas de la poursuivre ; elle aime et cultive la science ; elle a toutes les curiosités. On lui a souvent reproché de se contredire. Nous reviendrons tout à l’heure sur ce point ; ce qui dès à présent n’est pas douteux, c’est qu’elle a des croyances, qu’elle dogmatise.

Enfin, nous avons montré, dans le chapitre précédent, qu’il y a, chez Sextus et les sceptiques de la dernière période, une partie positive, c’est-à-dire un véritable dogmatisme. Nous avons déjà eu l’occasion de le remarquer plusieurs fois, les sceptiques empiriques sont les véritables ancêtres du positivisme. Réduire la connaissance à l’observation des phénomènes et des séries qu’ils forment, s’interdire la recherche des causes, substituer l’induction à la démonstration et décrire l’association des idées comme ils l’ont fait, c’est bien, en ce qu’elle a d’essentiel, la thèse de nos modernes positivistes. Or, ce n’est pas faire injure aux positivistes que de les considérer comme des dogmatistes, et même comme les plus dogmatistes de tous les hommes. Non seulement ils prétendent posséder la science, mais ils ajoutent que hors d’eux il n’y a ni vérité, ni certitude. Étrange renversement des idées et des mots, et spectacle instructif entre tous ! Les savants d’aujourd’hui sont les sceptiques d’autrefois : les mêmes doctrines, auxquelles on refusait jadis expressément le caractère de la certitude, sont celles pour lesquelles aujourd’hui on revendique exclusivement la certitude. Ne nous faisons pas toutefois d’illusion sur la modestie des médecins empiriques. S’ils n’ont pas osé revendiquer pour leur étude le nom de science, s’ils se