Page:Villemain - Cours de littérature française, tome 1.djvu/42

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poésie ; mais le germe primitif était là. Pour Grégoire VII, il ne s’agissait pas d’une pensée poétique, mais d’un acte de domination sacerdotale. Il voulait faire comprendre, par une fiction terrible, que les biens de l’Église étalent chose sacrée et inviolable, et que ni barons ni princes ne pouvaient impunément y porter la main. De plus, dans sa pensée politique, ce crime, le plus grand de tous, il fallait l’imputer aux Allemands, aux ennemis de l’Italie et des papes. Écoutez :

Dans les contrées germaniques, un certain comte, riche et puissant, et, ce qui semble un prodige dans cette classe d’hommes, d’une bonne conscience et d’une vie innocente, au moins selon le jugement humain, mourut il y a près de dix ans. Depuis cette mort, un saint homme descendit en esprit aux enfers, et aperçut le susdit comte, placé sur le degré le plus haut d’une échelle. Il affirmait que cette échelle semblait s’élever intacte entre les flammes bruyantes et tourbillonnantes de l’incendie vengeur, et être là placée pour recevoir tous ceux qui descendaient d’une même lignée de comtes. Cependant un noir chaos, un affreux abîme s’étendait à l’infini, et plongeait dans les profondeurs infernales, d’où montait cette échelle immense. Tel était l’ordre établi entre ceux qui s’y succédaient : le nouveau venu prenait le degré supérieur de l’échelle ; et celui qui s’y trouvait auparavant, et tous les autres, descendaient chacun d’un échelon vers l’abîme. Les hommes de cette famille venant, après la mort, se réunir successivement