Page:Villetard de Laguérie - Contes d'Extrême-Orient, 1903.pdf/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur les chemins, on ne voyait qu’un va-et-vient de meules énormes, roulant et tanguant au mouvement lent et régulier de la marche de ces bonnes bêtes. En passant, les bandes de coupeurs de riz échangeaient des appels à sonorité de you ! you ! arabes ou de tyroliennes, entre elles ou avec les gens qui coupaient des broussailles au flanc des collines. Ceux qui pouvaient utiliser un cours d’eau descendaient paisiblement le courant, leur longue pipe aux lèvres, dans des jonques chargées à couler bas, au son d’une flûte d’où quelque Mélibée en vêtements blancs tirait de vieilles mélodies d’origine inconnue. Cela remplaçait la joie exubérante de nos « pêlées ».

Dans les villages déserts, volailles et pourceaux vaguaient à leur aise, tout le jour, le long des tas d’ordures accotés aux maisons de torchis lézardées et lépreuses, ou dans de profondes ornières, pleines de tous les liquides d’une cour de ferme sale, sur la crête desquelles des pies sautillaient, en régalant de la crécelle intermittente de leur caquet de rares vieilles femmes laissées à la garde des logis.

Les faces rouge brique, un instant levées pour aspirer la brise, les bras tannés essuyant d’un geste arrondi les fronts débarrassés des serre-tête et des chapeaux en fibres de bambou, n’auraient pas dissipé l’illusion d’un coin d’Europe au mois d’août, tant l’uniformité de la vie de la terre empreint d’un caractère identique tous les êtres qui tirent leur subsistance de sa culture. Mais les courtes vestes blanches nouées obliquement sur une épaule, les larges braies blanches bouffantes et serrées aux chevilles, les cheveux noirs ébouriffés autour d’un chignon érigé en tortillon sur le haut du crâne, l’impossibilité de distinguer à distance un homme d’une femme, précisaient promptement la nationalité coréenne des acteurs de ces scènes.

La misère et le désœuvrement avaient momentanément fait place à l’abondance et à l’activité. Les paysans ne