Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/294

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— Non, c’est une bouquetière du quai. Cela peut vivre d’oranges, de cigarettes et de pain noir, mais cela n’aime que ceux qui lui plaisent. Elles sont nombreuses, sur les jetées espagnoles, mon ami, ces sortes de donneuses de roses. Cela change de Paris, n’est-ce pas ? Dans les autres contrées du monde, c’est toujours différent à chaque cinq cents lieues. — Mon caprice, à moi, se trouve dans le 44° de latitude sud. — Si le cœur te dit, fais-lui la cour. Tu es présenté comme elle s’est présentée. Libre à toi ? — Mais voici l’hôtellerie.

L’aubergiste, résille au front, apparut, nous faisant accueil jovial…

Mais, au moment de franchir le seuil, le lieutenant tressaillit et s’arrêta, pâlissant à vue d’œil tout à coup.

Sans aucune transition, le sympathique jeune homme était devenu d’une gravité de visage des plus saisissantes.

Il me prit la main et, après un moment de songerie, les yeux sur mes yeux :

— Pardon, mon cher ami, me dit-il, mais, dans la surprise que m’a causée ta soudaine rencontre, j’ai oublié que je ne dois pas et ne pourrais plus me divertir ce soir. C’est jour de deuil pour moi. C’est un anniversaire dont les heures me sont sacrées. En un mot, c’est jour pour jour que je perdis ma mère, il y a trois ans. J’ai, dans ma cabine, des reliques de la sainte et chère femme — et, naturellement, je vais m’enfermer avec son souvenir. Allons, ta main ! et à demain ! — Consolez-vous de