Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/295

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mon absence du mieux possible, ajouta-t-il en nous regardant ; demain je viendrai t’éveiller. — Une chambre pour monsieur ! cria-t-il à l’hôtelier.

— J’ai regret, mais plus de chambres ! répondit celui-ci.

— Allons, tiens ! me dit M. de Villebreuse préoccupé, prends ma clef : on dormira bien ; le lit est bon.

Son regard était triste et distrait : il me serra encore la main, dit un bonsoir à la jeune fille et s’éloigna vivement vers la rade sans ajouter une parole.

Un peu stupéfait de la soudaineté de l’incident, je le suivis, un instant, de ce regard à la fois sceptique et pensif qui signifie : « Chacun ses morts. » — Puis, j’entrai.

La Catalina m’avait précédé dans la salle basse : elle avait choisi, près d’une fenêtre donnant sur la mer, une petite table recouverte d’une serviette blanche, à la française, et sur laquelle l’hôtelier plaça deux bougies allumées.

Ma foi, malgré l’ombre de tristesse laissée en mon esprit par les paroles de mon ami, ce ne fut pas sans plaisir que j’obéis aux yeux engageants de cette jolie charmeuse. Je m’assis donc auprès d’elle. L’occasion et l’heure étaient aussi douces qu’inattendues.

Nous dînâmes en face de ces grands flots qui enserrent avec un véritable amour, sous les étoiles, ce rivage fortuné. Je comprenais le babil rieur de Catalina, dont l’espagnol havanais se mêlait de mots inconnus.