Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/102

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épaules roulaient des cheveux si fins et si ensoleillés, qu’ils me rappelaient les longs écheveaux de soie vierge avec lesquels je jouais au rouet de ma mère, quand elle descendait du Liban après la récolte des cocons. Tout cela faisait une beauté étrange et fière que je n’avais jamais vue aux pauvres filles de nos marins. A mon air étonné, l’enfant se prit à rire bien fort, d’un rire singulier qui sortait des yeux, de la bouche, de la gorge, de partout, comme le frisson de toutes les plumes d’un oiseau qui prend son vol. Elle me tendit sa moitié de pastèque et mordit à l’autre morceau avec de si fraîches lèvres rouges que je ne savais plus où finissait le fruit, où commençait la chair. Je te parle de tout cela, effendi, comme de choses d’hier ; c’est qu’après tant d’années descendues sur ce souvenir, il m’est plus présent encore que celui du jour où j’entendis pour la première fois les balles turques, où je vis flamber Vrachori.

« Prends donc, frère, dit la belle fille ; qui es-tu ? Je ne t’ai jamais vu à l’église, ni au marché. »

Je racontai que j’étais de Syrie, nouveau dans l’île, et que je passais, allant à Rhodes.

« Tu vas à Rhodes ! fit-elle vivement : dis à mon père, qui vend les éponges sur la marine, qu’il m’achète une petite, toute petite croix d’or. Tant que je n’aurai pas de croix d’or les épouseurs ne viendront pas. Et si tu repasses, en retournant lundi à la pêcherie, rapporte-la-moi.