Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/103

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― Je ne repasserai plus par Stavro, je pars pour mon pays.

― Alors donne-moi ta main, que je lise ; ma mère était de Smyrne, et les tziganes, qui dorment sous les tentes noires dans les plaines, lui ont appris à lire ce qui est écrit là du lendemain. »

Elle prit gravement ma main. regarda et repartit de son grand rire enfantin :

« Il y a écrit là que tu reviendras ! »

Là-dessus elle disparut dans les figuiers en reprenant sa chanson et se retourna deux fois pour me crier : « N’oublie pas la croix d’or ! »

Les bateliers m’appelaient du caïque. Je demandai à l’un d’eux, un homme de Stavro, quelle était cette rieuse jeunesse. « C’est la fille de Michali le pêcheur d’éponges, répondit-il, la belle Lôli ; on la nomme ainsi dans le pays parce qu’elle est un peu bizarre (Lôli est le mot qui veut dire folle dans le dialecte de la côte de Smyrne), et comme avec cela elle est pauvre, les garçons ne se pressent pas de la demander. »

Je ne dis plus rien ; mais jusqu’à Rhodes je regardais l’eau où couraient pour moi des images nouvelles, et j’entendais frissonner le rire singulier de Lôli dans la brise. Le sang me battait au cœur et aux tempes comme lorsque j’étais au travail sous la mer, retenant mon haleine. Jusqu’alors, ma vie agitée et soucieuse ne m’avait pas laissé le temps de sentir l’âge d’amour : je compris que le