Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/110

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Et elle me raconta l’affreuse histoire. Au même instant, un rire que je connaissais bien et la chère chanson de la bien-aimée se firent entendre au bout de la rue. Ma fiancée se précipita vers moi ; mais le mauvais esprit avait si étrangement travaillé son cerveau qu’elle s’imagina revoir son père.

« Père, père, me dit-elle, les démons ont étouffé le pauvre Vanghéli dans le fond bleu de la mer ! »

Et elle me redit tous les détails de la mort de Michali, auxquels elle avait assisté, croyant parler de la mienne. En vain je la serrai dans mes bras, je l’appelai, je la couvris de larmes et de caresses ; elle recommençait de nouveau le récit de l’agonie de son père, qu’elle m’appliquait à moi-même. Durant plusieurs semaines, j’essayai tout pour rappeler sa raison ; je n’obtins d’elle que son histoire désolée, son rire et sa chanson. Douce d’ailleurs et inoffensive, elle allait comme autrefois aux figuiers et sur la grève, écouter la mer. Je résolus de la mener aux médecins d’Athènes.

La veille du jour où nous devions partir, elle ne se trouva pas au souper. Inquiet, je descendis au rivage. Il faisait cette nuit une grande lune dans un ciel de nuages, qui éclairait par instants la terre mieux qu’un matin d’hiver. Quand je fus au platane où j’avais, pour la première fois, rencontré ma fiancée, je l’aperçus de loin, dans sa blanche robe de noces qu’elle portait toujours, sur la crête de la falaise qui monte