Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/112

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à l’endroit où venait de plonger Costaki. A peine eus-je entrevu l’assassin courbé sur sa besogne, que je me jetai sur lui et le terrassai dans le sable en le frappant de mon couteau à éponges. Ce fut pendant quelques secondes une lutte terrible dans la demi-nuit des profondeurs, sous le poids de la montagne d’eau. Le sang qui s’échappait des blessures troublait le fond où je poursuivais ma victime, et je frappais encore aveuglément, tandis qu’étouffée par le râle elle avait déjà ouvert la bouche et bu la mer. Je coupai la corde de secours enroulée à son corps, je l’amarrai solidement à une roche, puis je donnai le signal de montée. Mes camarades avaient déjà ramené la corde de Costaki, effrayés de ne plus sentir son poids.

« J’ai vu passer le requin, leur dis-je, il aura entraîné le pêcheur. On en a signalé deux l’autre semaine à Cymî, où la pêche est arrêtée. Pour moi, je ne plonge plus. »

Ils me regardèrent d’un air de doute, mais aucun ne souffla mot, sachant mon malheur, et que j’avais droit de faire justice. Sans réclamer mon dû, payé par ma vengeance, je quittai sur l’heure la pêcherie pour atteindre à Cymî le caïque de Rhodes, d’où je passai sur le premier voilier en partance. Le Seigneur miséricordieux a fait la terre si grande afin que ceux qui souffrent puissent marcher devant eux, jusqu’à ce qu’ils aient lassé le souvenir qui les poursuit.