Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/118

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parole ne peut te donner idée de ce qu’il y a d’effrayant et de grand, la nuit, dans cette ville morte de mosquées qui dort dans un repli du mont Mokattam, sans hommes, sans bruit, sans couleur, toute grise dans le noir. Nous nous arrêtâmes au centre, au pied du minaret de Kaït-Bey, qui se dresse comme le cierge entouré de fines dentelles qu’un riche porte à l’église la nuit de Pâques. J’étendis le tapis d’Ibrahim sur un turbé où est enseveli un saint vénéré ; tandis que le prince se mettait en prière, cheikh Yakoub disparut. Un moment après, nous le vîmes poindre dans le ciel sur la plus haute galerie du minaret. Il portait le bonnet et l’ample robe des derviches ; un peu de lune éclaira là-haut ce grand fantôme qui tournait lentement, comme un oiseau du Nil. D’une voix forte comme sera l’éclat de la trompette du jugement, il entonna l’appel habituel du muezzin au nom d’Allah, et continua par cette litanie, qu’il jetait à la ronde aux tombeaux des quatre points :

« Levez-vous, khalifes et émirs d’Égypte, levez-vous, fils d’Omar ! lève-toi, Hakem le Terrible, lève-toi, Salah-ed-Din le Conquérant, lève-toi, sultan Barkouk, lève-toi, sultan Gouhri !... »

Le prince se dressa tout surpris et regarda : voici que de toutes parts, des deux grands portails de Barkouk, des cours de Kaït-Bey, de tous les monuments qui faisaient de l’ombre au loin sur le