Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

les beys arabes auxquels il confierait l’administration des provinces.

L’armée s’avança encore jusqu’à Kutahieh, et s’arrêta là. A partir de ce jour, je ne reconnus plus Ibrahim. Lui, si bon et si juste pour nous tous, il devint chagrin, violent et tyrannique. Je comprenais qu’il était aigri par la rencontre d’obstacles imprévus que j’ignorais ; je sais seulement que toutes ses paroles étaient pour se plaindre amèrement des rois d’Europe qui l’arrêtaient dans sa marche : il accusait sans cesse l’injustice des étrangers. Peu de temps après, il me donna l’ordre de tout apprêter pour retourner en Égypte, et il avait des larmes dans les yeux en me le donnant. Il partit avec une petite escorte, laissant ses troupes en Asie, pour aller consulter son père. Je passais toujours les nuits près de lui ; il dormait encore moins que par le passé, mais alors il restait silencieux, le regard perdu comme celui qu’on vient d’éveiller d’un rêve. Quand on le tirait de sa contemplation, il redevenait emporté et brutal : pour la première fois je me souvins que j’étais esclave, et le désir me prit de quitter un maître si dur.

Une nuit que nous campions à Sahjun, dans la montagne de Syrie, comme je me levais à la première aube, je vis au-dessous de nous, tout au fond des gorges qui descendaient à la côte, au bout de l’horizon, une ligne bleue et de petites taches blanches qui brillaient dans la lumiè