Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/124

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de Syrie, pendant lesquelles ils oublièrent les idées qui avaient fait travailler les têtes autrefois. Tu sais comment ils furent cruellement réveillés par les massacres de Damas. Pour moi comme pour tant d’autres, les mauvais jours datèrent de cette heure lamentable. Peu de temps auparavant, j’avais hérité d’un parent un petit bien au village de Hasbeya, dans la vallée du mont Hermon ; comme le commerce de la soie rapportait alors de gros bénéfices, j’avais vendu ma boutique de Lattaquieh et je m’étais établi à Hasbeya, où je faisais des affaires de cocons. Ce fut là que j’appris par des fuyards les premiers massacres de l’année 1860 à Damas. Nous pensions être en sûreté dans nos montagnes, et quelques familles prudentes descendirent seules à Beyrouth.

Une nuit que tout dormait comme d’habitude dans le village, on fut éveillé en sursaut par un tumulte de cavaliers, de flammes et de cris : c’étaient les Druses qui s’abattaient comme un ouragan sur nos maisons. Avant qu’on eût pu se reconnaître, les filatures et les magasins flambaient, le sang coulait par les rues, la moitié de la population râlait sous les pieds des chevaux qui portaient les assassins. Je n’oublierai jamais l’aube de ce jour où je vis, sur la terrasse avancée de l’église qui domine le village, ce qui restait des habitants de Hasbeya, hommes, femmes et enfants, parqués comme des moutons, rendus fous par ce