Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/141

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touchons à la mer et à la fin des choses pour moi. J’ai mis de côté quelques piastres pour louer demain à Gueumlek mon passage sur mer jusqu’à Volo, et de là gagner les couvents. Après cette dernière traversée, le vieux Vanghéli mettra le point final, si Dieu le permet, à l’histoire qu’il t’a contée.

Ici le vieillard fit une pause ; je voyais qu’il voulait encore me dire une pensée qui se formulait péniblement dans son cerveau. Il fixa sur moi ce regard triste et interrogateur, habituel à l’Oriental dans la conversation avec un Européen, le regard de ce jeune homme noir de Francia qui est au Louvre : penché hors du XVe siècle, il regarde venir des temps nouveaux, tourmentés et durs aux âmes simples. Après un instant, Vanghéli reprit :

« Maintenant, effendi, j’ai fait ce que tu désirais : j’attends que tu répondes à la question que je me posais quand tu m’as abordé. Jusqu’ici, j’ai fait la tâche du jour qui se levait, sans avoir le temps de repenser à celle de la veille ; mais, ce soir, au moment de jeter ma vie passée derrière moi comme on largue une vieille ancre à la mer, elle m’est apparue tout entière et dans chacun de ses détails ; telle on revoit la vie des bienheureux dans les images, toute rassemblée en une suite de petits tableaux sur la même feuille. Vue ainsi, elle ne me paraissait guère autre chose que la comédie que nous venons de jouer, où j’ai revêtu en une heure les costumes de dix hommes différents, essayé vingt