Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/143

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tu m’en fasses part quand tu la tiendras. Promets-moi de te souvenir de ma demande.

― Je te le promets », dit l’homme, et il disparut sous la tente du chariot. Là se mouvait un vague éveil de hardes dans la première transparence de l’aube, dont la grâce sereine emplissait le ciel noir et faisait sourire la crête des vieux murs du khân.

Lorsqu'on nous appela pour nous mettre en marche, le soleil était déjà haut sur l’horizon et la bande tragique partie depuis plusieurs heures. Notre caravane, plus alerte, la rejoignit pourtant au gué de la rivière qui s’échappe du lac, à la séparation des routes de Brousse et de Gueumlek. On passait le chariot de Thespis sur le bac ; la lourde machine glissait au fil de l’eau, toute sonore de rires d’enfants et de chansons, toute éclaboussée de lumière par les reflets miroitants du courant et les rayons de midi, accrochés aux loques éclatantes des oripeaux qui pendaient à l’aventure. Sur la rive, assis dans l’ombre épaisse d’un noyer, les mains croisées sur son bâton, Vanghéli regardait s’éloigner les compagnons qu’il avait dû quitter là ; il les suivait de ce regard vague, songeur et fatigué, commun aux vieilles gens de toute condition en Asie. C’était presque la scène de la poétique toile de Gleyre, ― les Illusions perdues, ― où le vieillard, gagné sur la grève par l’ombre du soir, regarde fuir dans le rayon doré la voile qui emporte les jeunesses, les lyres,