Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/73

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nous assourdit : lumière et bruit jaillissaient du fond d’une longue galerie où roulait une foule compacte. La transition était si brusque, et cette apparition nouvelle si imprévue, que nous pesâmes d’un même mouvement sur les brides des chevaux, mon compagnon et moi, échangeant la même interrogation : « Sommes-nous décidément le jouet d’un songe, ou de la fièvre des marais ? » Il nous fallut quelques minutes pour ramener cette vision fantastique à la réalité ; la galerie, inondée de lumière et de peuple, n’était rien autre que le tcharchi ou marché, couvert, comme tous les bazars d’Anatolie, de planches et de vignes treillagées : notre guide nous remémora la grande fête de la Panagia qui expliquait la liesse de la population chrétienne à cette heure indue. Nos pauvres bêtes, aussi nerveuses que nous, fendirent du poitrail la foule d’enfants et de femmes qui assiégeaient les échoppes de sucreries, elles se précipitèrent en trébuchant dans la cour du khân, une large cour carrée enceinte de hautes murailles, qui sert en province de caravansérail aux voyageurs et de lieu de réunion aux fêtes de nuit. La presse était grande au fond du khân, et motivée sans doute par quelque spectacle de haut goût. Tandis qu’on déchargeait nos mules, nous nous glissâmes au premier rang ; c’était en effet un spectacle : une troupe foraine donnait la comédie en turc au peuple de Nicée.