Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/77

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battue d’une loge de khân. De trop nombreux et trop féroces locataires la disputent à l’intrus. Après quelques minutes de lutte inégale, j’abandonnai mon manteau à l’armée qui l’avait conquis, je sortis philosophiquement en roulant une cigarette. L’obscurité et le silence avaient remplacé les lueurs et les cris de tout à l’heure : les dernières étincelles du mach’ala se mouraient à terre ; seule la clarté de la lune apaisait l’ombre. Un homme veillait pourtant, assis sur la margelle de la fontaine, au milieu de la cour ; il fumait un narghilé dont le ronflement rythmé répondait discrètement au murmure de l’eau dégorgeant dans la vasque. Sous le rayon qui caressait d’aplomb sa figure, je le reconnus pour un des acteurs ; il m’avait d’autant plus frappé que je m’étais étonné de trouver dans une troupe arménienne un individu dont le type rappelait celui des Grecs de Syrie. C’était un vieillard, blanchi d’âge et de fatigue, sec et vigoureux pourtant, comme le demeurent fort tard ces Orientaux. Les yeux baissés sur un chapelet qu’il égrenait distraitement, il semblait réfléchir, dans la mesure où cette opération est possible aux hommes de sa race. L’ombre d’une pensée errait sur les rides de son front et lui donnait une expression grave, qui eut été triste, si elle n’avait été surtout résignée. Comme je m’approchais pour lui demander du feu, le comédien me salua en romaïque, et la conversation s’engagea.