Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/79

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L’homme hésita un instant, étonné de ma demande, mais rassuré évidemment par l’idée qu’il n’avait pas affaire à un négociant et que je n’avais rien à gagner de lui. L’Oriental, toujours préoccupé des intérêts matériels, suppose le même souci à tous ceux qui l’abordent et ne désarme qu’en constatant l’absence de ce souci chez son interlocuteur. Après une nouvelle pause, l’acteur reprit :

« Je n’ai rien de curieux à te conter ; j’ai vécu comme tous les autres, ainsi que Dieu l’a voulu. Je dirai ce dont je me souviens, si cela te fait plaisir ; aussi bien tu pourras sans doute après, puisque tu es de ces hommes d’Europe qui savent les choses, répondre à une question que je me faisais tout à l’heure. »

Le vieillard se remit à fumer, et son regard se retourna en dedans, comme il arrive quand on descend dans le passé. Je m’assis à côté de lui sur la margelle de la fontaine, je vidai entre nous mon sac à tabac pour achever de le gagner. Tout dormait autour de nous dans un de ces profonds silences de nuit où l’on cherche involontairement à entendre le rythme des étoiles en marche. Alors le comédien commença la narration qui va suivre, d’un ton indifférent et fatigué, comme s’il eût parlé d’un autre.

C’est ce ton impersonnel qu’il faudrait pouvoir rendre pour donner quelque valeur à son récit auprès de ceux qui aiment à étudier l’âme des