Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/86

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la garde autour de lui : il redressait à coups de marteau la lame d’un yatagan. C’était Kolokotroni. On me mena à lui ; il me demanda qui j’étais, d’où je venais, puis, me mettant dans les mains un pain de maïs et un fusil albanais, il dit : « Je t’ai donné de quoi manger et tuer ; que Dieu te donne du cœur et du bonheur. » Et il se remit à frapper son sabre sur la pierre.

Voilà, effendi, comment j’entrai dans l’armée du Christ ; j’avais peut-être vingt ans, et il y a peut-être la moitié d’un siècle de cela : mais tu sais que, sous les têtes blanches, le souvenir de ces anciennes histoires est plus vivant que celui de la journée d’hier. Plusieurs semaines passèrent, sans autre occupation pour nous que de faire rentrer l’impôt de guerre dans les villages de la plaine ; et les pauvres gens disaient parfois que leurs frères étaient plus durs pour eux que le Turc. Enfin, un matin, les bergers vinrent annoncer au camp que les janissaires de Kurchid-Pacha, sortis en force de Tripolitza, s’étaient établis au village de Vrachori, à deux journées de nous. Kolokotroni venait de recevoir les renforts de Soutzo et d’autres chefs du Magne ; nous étions bien un millier d’hommes, et il résolut de chasser l’ennemi de Vrachori.

Nous marchâmes toute la nuit de ce jour et celle du lendemain à la clarté de la lune. Vers le moment de l’aube où la terre devient grise, comme nous étions couchés dans le lit du torrent