Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/93

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grande maison de bois autour de laquelle on sentait le silence et la crainte. C’est que, vois-tu, les vieillards qui ont été de ce temps savent seuls quel maître terrible fut Ali de Tépélen. Son nom courait sur tout le pays de Roumélie comme l’effroi du boulet. On racontait qu’il cherchait le sang comme nous cherchons l’eau du puits après une marche dans le sable. Musulmans et chrétiens tremblaient également devant ses caprices, car on ne savait jamais contre lesquels se tournerait sa fureur de demain ; et l’on disait communément alors que la colère du sultan était moins redoutable que l’amitié d’Ali Tépéleni.

Aussi tu peux penser quelle fut notre frayeur, quand nous apprîmes par les conversations des Albanais que le pacha était dans une irritation violente contre les chefs grecs, qui ne lui envoyaient pas le secours promis ; il avait fait jeter dans les souterrains de la citadelle des gens de Morée, venus comme nous chercher fortune à Janina l’autre semaine : il les soupçonnait d’être des espions aux gages d’Ismaïl. A la nuit tombante, je fus introduit au sélamlik, qui ouvrait sur une galerie de bois extérieure. Au fond de cette galerie, sous la mauvaise lumière d’une lampe à trois becs, un grand vieillard était ramassé sur le divan. Il était très gros, comme sont en Turquie les buveurs d’eau, mais sa tête était royale, tout ennoblie d’une grande barbe blanche, éclairée par un regard doux comme