Page:Vogüé - Histoire orientales, 1880.djvu/94

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un regard d’enfant. Ce jour-là il était pâle avec un air de souffrance sur les traits ; il écoutait distraitement les bruits du bazar qui montaient de la place. Derrière lui deux hommes, de visage et de costume européens, se consultaient tout bas. Un tchaouch s’avança, toucha du front le pied du divan, et expliqua comment on m’avait trouvé aux portes de la ville, venant de Morée. Ali de Tépélen m’enveloppa de côté de son regard très doux, qui faisait froid jusqu’au cœur, et me fit signe d’approcher. « Qui es-tu ? me dit le pacha dans notre langue.

― Un esclave de Votre Altesse. répondis-je, désireux d’entrer à son service.

― Oui, reprit-il avec un sourd grondement dans la voix et en plongeant dans mes yeux son œil calme comme une pointe d’acier froid, oui, tu es encore un de ces traîtres de Morée, un de ces aveugles qui attendent la perte du vieil Ali, sans réfléchir qu’après lui le sultan de Stamboul les écrasa comme de mauvaises pastèques. Que font tes chefs ? Que font Botzaris, et Mavrocordato, et les autres ? Où sont les six mille Armatoles qu’ils m’avaient promis pour le jour où l’armée d’Ismaïl entrerait en Épire ? Voici qu’Ismaïl est aux portes de Janina, et pas un Grec ne paraît. Fils de chiens, vous vous trompez. Le vieux lion laissé seul peut encore nettoyer la montagne en secouant la tête et punir les chacals chrétiens après avoir dispersé