Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/336

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vous qui êtes un seigneur terrien. Ne voyez-vous pas que, si le ministre des finances exigeait de moi quelques secours pour la patrie, il serait un imbécile qui ne saurait pas calculer ? Car tout vient de la terre ; l’argent et les billets ne sont que des gages d’échange : au lieu de mettre sur une carte au pharaon cent setiers de blé, cent bœufs, mille moutons, et deux cents sacs d’avoine, je joue des rouleaux d’or qui représentent ces denrées dégoûtantes. Si, après avoir mis l’impôt unique sur ces denrées, on venait encore me demander de l’argent, ne voyez-vous pas que ce serait un double emploi ? que ce serait demander deux fois la même chose ? Mon oncle vendit à Cadix pour deux millions de votre blé, et pour deux millions d’étoffes fabriquées avec votre laine : il gagna plus de cent pour cent dans ces deux affaires. Vous concevez bien que ce profit fut fait sur des terres déjà taxées : ce que mon oncle achetait dix sous de vous, il le revendait plus de cinquante francs au Mexique ; et, tous frais faits, il est revenu avec huit millions.

« Vous sentez bien qu’il serait d’une horrible injustice de lui redemander quelques oboles sur les dix sous qu’il vous donna. Si vingt neveux comme moi, dont les oncles auraient gagné dans le bon temps chacun huit millions au Mexique, à Buenos-Ayres, à Lima, à Surate ou à Pondichéry, prêtaient seulement à l’État chacun deux cent mille francs dans les besoins urgents de la patrie, cela produirait quatre millions : quelle horreur ! Payez, mon ami, vous qui jouissez en paix d’un revenu clair et net de quarante écus ; servez bien la patrie, et venez quelquefois dîner avec ma livrée[1]. »

  1. Ce chapitre renferme deux objections contre l’établissement d’un impôt unique : l’une, que si l’impôt était établi sur les terres seules, le citoyen dont le revenu est en contrats en serait exempt ; la seconde, que celui qui s’enrichit par le commerce étranger en serait également exempt. Mais, 1o supposons que le propriétaire d’un capital en argent en retire un intérêt de cinq pour cent, et qu’il soit assujetti à un impôt d’un cinquième : il est clair que c’est seulement quatre pour cent qu’il retire ; si l’impôt est ôté pour être levé d’une autre manière, il aura cinq pour cent ; mais la concurrence entre les prêteurs faisait trouver de l’argent réellement à quatre pour cent, quoiqu’on l’appelât à cinq pour cent : la même concurrence fera donc baisser le taux nominal de l’intérêt à quatre pour cent. Supposons donc encore que l’on ajoute un nouvel impôt sur les terres, tout restant d’ailleurs le même, l’intérêt de l’argent ne changera point ; mais si vous mettez une partie de l’impôt sur les capitalistes, il augmentera. Les capitalistes payeront donc l’impôt de même, soit qu’il tombe en partie immédiatement sur eux, soit qu’on les en exempte. À la vérité, dans le cas où l’on changerait en impôt territorial un impôt sur les capitalistes, ceux à qui l’on n’offrirait pas le remboursement de leur capital aliéné à perpétuité, ceux dont le capital n’est aliéné que pour un temps, y gagneraient pendant quelques années ; mais les pro-