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mœurs, des lois, des forces, des usages, des arts, qui rendaient ce pays si recommandable ; et ce seigneur lui parlait en ces termes :


CHAPITRE XVII.

UN SÉNATEUR ALBIONIEN RACONTE À AMAZAN L’HISTOIRE DE SON PAYS. LA FEMME DE MILORD DONNE UN RENDEZ-VOUS À AMAZAN, QUI N’Y RÉPOND QUE PAR DU RESPECT. LE MILORD S’EN MOQUE, ET AMAZAN S’EN RETOURNE EN BATAVIE.


« Nous avons longtemps marché tout nus, quoique le climat ne soit pas chaud. Nous avons été longtemps traités en esclaves par des gens[1] venus de l’antique terre de Saturne, arrosée des eaux du Tibre ; mais nous nous sommes fait nous-mêmes beaucoup plus de maux que nous n’en avions essuyé de nos premiers vainqueurs. Un de nos rois[2] poussa la bassesse jusqu’à se déclarer sujet d’un prêtre qui demeurait aussi sur les bords du Tibre, et qu’on appelait le vieux des sept montagnes : tant la destinée de ces sept montagnes a été longtemps de dominer sur une grande partie de l’Europe habitée alors par des brutes !

« Après ces temps d’avilissement sont venus des siècles de férocité et d’anarchie. Notre terre, plus orageuse que les mers qui l’environnent, a été saccagée et ensanglantée par nos discordes ; plusieurs têtes couronnées ont péri par le dernier supplice ; plus de cent princes du sang des rois ont fini leurs jours sur l’échafaud ; on a arraché le cœur de tous leurs adhérents, et on en a battu leurs joues[3]. C’était au bourreau qu’il appartenait d’écrire l’histoire de notre île, puisque c’était lui qui avait terminé toutes les grandes affaires.

« Il n’y a pas longtemps que, pour comble d’horreur, quelques personnes portant un manteau noir[4], et d’autres qui mettaient une chemise blanche par-dessus leur jaquette[5], ayant été mordues par des chiens enragés, communiquèrent la rage à la nation entière. Tous les citoyens furent ou meurtriers ou égorgés, ou bourreaux ou suppliciés, ou déprédateurs ou esclaves, au nom du ciel et en cherchant le Seigneur.

  1. Les Romains.
  2. Jean sans Terre.
  3. Voltaire pense surtout ici aux partisans de Charles-Édouard. Voyez, tome XV, le Précis du Siècle de Louis XV, chapitre xxv.
  4. Les puritains. Voyez tome XIII, page 56 et suiv.
  5. Les prêtres anglicans. Voyez le chapitre clxxx de l’Essai sur les Mœurs.