Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/437

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« Qui croirait que de cet abîme épouvantable, de ce chaos de dissensions, d’atrocités, d’ignorance et de fanatisme, il est enfin résulté le plus parfait gouvernement peut-être qui soit aujourd’hui dans le monde ? Un roi honoré et riche, tout-puissant pour faire le bien, impuissant pour faire le mal, est à la tête d’une nation libre, guerrière, commerçante et éclairée. Les grands d’un côté, et les représentants des villes de l’autre, partagent la législation avec le monarque.

« On avait vu ; par une fatalité singulière, le désordre, les guerres civiles, l’anarchie et la pauvreté désoler le pays quand les rois affectaient le pouvoir arbitraire. La tranquillité, la richesse, la félicité publique, n’ont régné chez nous que quand les rois ont reconnu qu’ils n’étaient pas absolus. Tout était subverti quand on disputait sur des choses inintelligibles ; tout a été dans l’ordre quand on les a méprisées. Nos flottes victorieuses portent notre gloire sur toutes les mers, et les lois mettent en sûreté nos fortunes : jamais un juge ne peut les expliquer arbitrairement ; jamais on ne rend un arrêt qui ne soit motivé. Nous punirions comme des assassins des juges qui oseraient envoyer à la mort un citoyen sans manifester les témoignages qui l’accusent et la loi qui le condamne.

« Il est vrai qu’il y a toujours chez nous deux partis qui se combattent avec la plume et avec des intrigues ; mais aussi ils se réunissent toujours quand il s’agit de prendre les armes pour défendre la patrie et la liberté. Ces deux partis veillent l’un sur l’autre ; ils s’empêchent mutuellement de violer le dépôt sacré des lois ; ils se haïssent, mais ils aiment l’État : ce sont des amants jaloux qui servent à l’envi la même maîtresse.

« Du même fonds d’esprit qui nous a fait connaître et soutenir les droits de la nature humaine, nous avons porté les sciences au plus haut point où elles puissent parvenir chez les hommes. Vos Égyptiens, qui passent pour de si grands mécaniciens ; vos Indiens, qu’on croit de si grands philosophes ; vos Babyloniens, qui se vantent d’avoir observé les astres pendant quatre cent trente mille années ; les Grecs, qui ont écrit tant de phrases et si peu de choses, ne savent précisément rien en comparaison de nos moindres écoliers, qui ont étudié les découvertes de nos grands maîtres. Nous avons arraché plus de secrets à la nature dans l’espace de cent années que le genre humain n’en avait découvert dans la multitude des siècles[1].

  1. Allusion aux découvertes de Halley, de Newton, etc.