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lequel ils font des madrigaux et des chansons. Ces peuples vont tout nus. Cette mode est fort naturelle ; mais elle ne me paraît ni honnête ni habile. Un Hottentot est bien malheureux : il n’a plus rien à désirer quand il a vu sa Hottentote par-devant et par-derrière. Le charme des obstacles lui manque ; il n’y a plus rien de piquant pour lui. Les robes de nos Indiennes, inventées pour être troussées, marquent un génie bien supérieur. Je suis persuadé que le sage Indien à qui nous devons le jeu des échecs et celui du trictrac imagina aussi les ajustements des dames pour notre félicité.

Nous resterons deux jours à ce cap, qui est la borne du monde, et qui semble séparer l’Orient de l’Occident. Plus je réfléchis sur la couleur de ces peuples, sur le gloussement[1] dont ils se servent pour se faire entendre au lieu d’un langage articulé, sur leur figure, sur le tablier de leurs dames, plus je suis convaincu que cette race ne peut avoir la même origine que nous.

Notre aumônier prétend que les Hottentots, les Nègres et les Portugais, descendent du même père. Cette idée est bien ridicule ; j’aimerais autant qu’on me dît que les poules, les arbres, et l’herbe de ce pays-là, viennent des poules, des arbres et de l’herbe de Bénarès ou de Pékin.


CINQUIÈME LETTRE
D’AMABED.


Du 16 au soir, au cap dit de Bonne-Espérance.


Voici bien une autre aventure. Le capitaine se promenait avec Charme des yeux et moi sur un grand plateau au pied duquel la mer du Midi vient briser ses vagues. L’aumônier Fa molto a conduit notre jeune Déra tout doucement dans une petite maison nouvellement bâtie, qu’on appelle un cabaret. La pauvre fille n’y entendait point finesse, et croyait qu’il n’y avait rien à craindre, parce que cet aumônier n’est pas dominicain. Bientôt nous avons entendu des cris. Figure-toi que le père Fa tutto a été jaloux

  1. On lit gloussement dans quelques éditions récentes ; mais toutes les éditions du vivant de l’auteur et les éditions de Kehl portent glossement. À cette occasion je remarquerai, une fois pour toutes, que Voltaire étant réduit à employer les presses étrangères, ce n’est probablement pas à lui qu’il faut reprocher certaines locutions. (B.)