Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/519

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LE SERPENT.

Vous me fendez le cœur ; il faut vous satisfaire ; mais ne m’interrompez pas.

LA PRINCESSE.

Je vous le promets.

LE SERPENT.

Il y avait un jeune roi, beau, fait à peindre, amoureux, aimé……

LA PRINCESSE.

Un jeune roi ! beau, fait à peindre, amoureux, aimé ! et de qui ? et quel était ce roi ? quel âge avait-il ? qu’est-il devenu ? où est-il ? où est son royaume ? quel est son nom ?

LE SERPENT.

Ne voilà-t-il pas que vous m’interrompez, quand j’ai commencé à peine. Prenez garde : si vous n’avez pas plus de pouvoir sur vous-même, vous êtes perdue.

LA PRINCESSE.

Ah ! pardon, monsieur, cette indiscrétion ne m’arrivera plus ; continuez, de grâce.

LE SERPENT.

Ce grand roi, le plus aimable et le plus valeureux des hommes, victorieux partout où il avait porté ses armes, rêvait souvent en dormant ; et, quand il oubliait ses rêves, il voulait que ses mages s’en ressouvinssent, et qu’ils lui apprissent ce qu’il avait rêvé, sans quoi il les faisait tous pendre, car rien n’est plus juste. Or il y a bientôt sept ans qu’il songea un beau songe dont il perdit la mémoire en se réveillant ; et un jeune Juif, plein d’expérience, lui ayant expliqué son rêve, cet aimable roi fut soudain changé en bœuf[1] ; car……

LA PRINCESSE.

Ah ! c’est mon cher Nabu……

Elle ne put achever ; elle tomba évanouie. Mambrès, qui écoutait de loin, la vit tomber, et la crut morte.


CHAPITRE IV.
COMMENT ON VOULUT SACRIFIER LE BŒUF ET EXORCISER LA PRINCESSE.


Mambrès courut à elle en pleurant. Le serpent est attendri : il ne peut pleurer, mais il siffle d’un ton lugubre ; il crie : « Elle

  1. Toute l’antiquité employait indifféremment les termes de bœuf et de taureau. (Note de Voltaire.)