Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/520

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est morte ! » L’ânesse répète : « Elle est morte ! » Le corbeau le redit ; tous les autres animaux paraissaient saisis de douleur, excepté le poisson de Jonas, qui a toujours été impitoyable. La dame d’honneur, les dames du palais, arrivent et s’arrachent les cheveux. Le taureau blanc, qui paissait au loin, et qui entend leurs clameurs, court au bosquet, et entraîne la vieille avec lui en poussant des mugissements dont les échos retentissent. En vain toutes les dames versaient sur Amaside expirante leurs flacons d’eau de rose, d’œillet, de myrte, de benjoin, de baume de la Mecque, de cannelle, d’amomum, de girofle, de muscade, d’ambre gris : elle n’avait donné aucun signe de vie ; mais, dès qu’elle sentit le beau taureau blanc à ses côtés, elle revint à elle plus fraîche, plus belle, plus animée que jamais. Elle donna cent baisers à cet animal charmant, qui penchait languissamment sa tête sur son sein d’albâtre. Elle l’appelle : « Mon maître, mon roi, mon cœur, ma vie. » Elle passe ses bras d’ivoire autour de ce cou plus blanc que la neige. La paille légère s’attache moins fortement à l’ambre, la vigne à l’ormeau, le lierre au chêne. On entendait le doux murmure de ses soupirs ; on voyait ses yeux, tantôt étincelants d’une tendre flamme, tantôt offusqués par ces larmes précieuses que l’amour fait répandre.

On peut juger dans quelle surprise la dame d’honneur d’Amaside et les dames de compagnie étaient plongées. Dès qu’elles furent rentrées au palais, elles racontèrent toutes à leurs amants cette aventure étrange, et chacune avec des circonstances différentes, qui en augmentaient la singularité, et qui contribuent toujours à la variété de toutes les histoires.

Dès qu’Amasis, roi de Tanis, en fut informé, son cœur royal fut saisi d’une juste colère. Tel fut le courroux de Minos quand il sut que sa fille Pasiphaé prodiguait ses tendres faveurs au père du minotaure. Ainsi frémit Junon lorsqu’elle vit Jupiter son époux caresser la belle vache Io, fille du fleuve Inachus. Amasis fit enfermer la belle Amaside dans sa chambre, et mit une garde d’eunuques noirs à sa porte ; puis il assembla son conseil secret.

Le grand mage Mambrès y présidait, mais il n’avait plus le même crédit qu’autrefois. Tous les ministres d’État conclurent que le taureau blanc était un sorcier. C’était tout le contraire : il était ensorcelé ; mais on se trompe toujours à la cour dans ces affaires délicates.

On conclut à la pluralité des voix qu’il fallait exorciser la princesse, et sacrifier le taureau blanc et la vieille.

Le sage Mambrès ne voulut point choquer l’opinion du roi et