Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/563

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— Moi, mademoiselle ! je ne vous ai point permis ce petit commerce ; je l’ai toléré : cela est bien différent. Un bon père ne doit être ni le tyran de son fils ni son mercure. La fornication entre deux personnes libres a été peut-être autrefois une espèce de droit naturel dont Jenni peut jouir avec discrétion sans que je m’en mêle ; je ne le gêne pas plus sur ses maîtresses que sur son dîner et sur son souper ; s’il s’agissait d’un adultère, j’avoue que je serais plus difficile, parce que l’adultère est un larcin ; mais pour vous, mademoiselle, qui ne faites tort à personne, je n’ai rien à vous dire.

— Eh bien ! monsieur, c’est d’adultère qu’il s’agit. Le beau Jenni m’abandonne pour une jeune mariée qui n’est pas si belle que moi. Vous sentez bien que c’est une injure atroce.

— Il a tort », dit alors M. Freind.

Boca Vermeja, en versant quelques larmes, lui conta comment Jenni avait été jaloux, ou fait semblant d’être jaloux du bachelier ; comment Mme Clive-Hart, jeune mariée très-effrontée, très-emportée, très-masculine, très-méchante, s’était emparée de son esprit ; comment il vivait avec des libertins non craignant Dieu ; comment enfin il méprisait sa fidèle Boca Vermeja pour la coquine de Clive-Hart, parce que la Clive-Hart avait une nuance ou deux de blancheur et d’incarnat au-dessus de la pauvre Boca Vermeja.

« J’examinerai cette affaire-là à loisir, dit le bon Freind ; il faut que j’aille en parlement pour celle de milord Peterborough. » Il alla donc en parlement : je l’y entendis prononcer un discours ferme et serré, sans aucun lieu commun, sans épithète, sans ce que nous appelons des phrases ; il n’invoquait point un témoignage, une loi ; il les attestait, il les citait, il les réclamait ; il ne disait point qu’on avait surpris la religion de la cour en accusant milord Peterborough d’avoir hasardé les troupes de la reine Anne, parce que ce n’était pas une affaire de religion ; il ne prodiguait pas une conjecture le nom de démonstration ; il ne manquait pas de respect à l’auguste assemblée du parlement par de fades plaisanteries bourgeoises ; il n’appelait pas milord Peterborough son client, parce que le mot de client signifie un homme de la bourgeoisie protégé par un sénateur. Freind parlait avec autant de modestie que de fermeté : on l’écoutait en silence ; on ne l’interrompait qu’en disant : « Hear him, hear him : écoutez-le, écoutez-le. » La chambre des communes vota qu’on remercierait le comte de Peterborough au lieu de le condamner. Milord obtint la même justice de la cour des pairs, et se prépara à repartir avec son cher Freind pour aller donner le royaume d’Espagne à