Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/564

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l’archiduc : ce qui n’arriva pourtant pas, par la raison que rien n’arrive dans ce monde précisément comme on le veut.

Au sortir du parlement, nous n’eûmes rien de plus pressé que d’aller nous informer de la conduite de Jenni. Nous apprîmes en effet qu’il menait une vie débordée et crapuleuse avec Mme Clive-Hart et une troupe de jeunes athées, d’ailleurs gens d’esprit, à qui leurs débauches avaient persuadé que « l’homme n’a rien au-dessus de la bête ; qu’il naît et meurt comme la bête ; qu’ils sont également formés de terre ; qu’ils retournent également à la terre ; et qu’il n’y a rien de bon et de sage que de se réjouir dans ses œuvres, et de vivre avec celle que l’on aime, comme le conclut Salomon à la fin de son chapitre troisième du Coheleth, que nous nommons Ecclésiaste ».

Ces idées leur étaient principalement insinuées par un nommé Wirburton[1], méchant garnement très-impudent. J’ai lu quelque chose des manuscrits de ce fou : Dieu nous préserve de les voir imprimés un jour ! Wirburton prétend que Moïse ne croyait pas à l’immortalité de l’âme ; et comme en effet Moïse n’en parla jamais, il en conclut que c’est la seule preuve que sa mission était divine. Cette conclusion absurde fait malheureusement conclure que la secte juive était fausse ; les impies en concluent par conséquent que la nôtre, fondée sur la juive, est fausse aussi, et que cette nôtre, qui est la meilleure de toutes, étant fausse, toutes les autres sont encore plus fausses ; qu’ainsi il n’y a point de religion. De là quelques gens viennent à conclure qu’il n’y a point de Dieu ; ajoutez à ces conclusions que ce petit Wirburton est un intrigant et un calomniateur. Voyez quel danger !

Un autre fou nommé Needham, qui est en secret jésuite, va bien plus loin. Cet animal, comme vous le savez d’ailleurs, et comme on vous l’a tant dit[2], s’imagine qu’il a créé des anguilles avec de la farine de seigle et du jus de mouton ; que sur-le-champ ces anguilles en ont produit d’autres sans accouplement. Aussitôt nos philosophes décident qu’on peut faire des hommes avec de la farine de froment et du jus de perdrix, parce qu’ils doivent avoir une origine plus noble que celle des anguilles ; ils prétendent que ces hommes en produiront d’autres incontinent ; qu’ainsi ce n’est point Dieu qui a fait l’homme ; que tout s’est fait de soi-même ; qu’on peut très-bien se passer de Dieu ; qu’il n’y a point

  1. Il n’est pas difficile de deviner qui Voltaire désigne ici. Il n’a changé qu’une lettre : voyez la note 1 de la page suivante.
  2. Voyez ci-dessus, page 333 ; et dans les Mélanges, année 1768, le chapitre xiii des Singularités de la nature.