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CHAPITRE VI.

Dieu lorsqu’on va faire un être à son image, comme nous le prions avant les repas qui servent à soutenir notre corps. Travailler à faire naître une créature raisonnable est l’action la plus noble et la plus sainte. C’est ainsi que pensaient les premiers Indiens, qui révérèrent le Lingam, symbole de la génération ; les anciens Égyptiens, qui portaient en procession le Phallus ; les Grecs, qui érigèrent des temples à Priape. S’il est permis de citer la misérable petite nation juive, grossière imitatrice de tous ses voisins, il est dit dans ses livres que ce peuple adora Priape, et que la reine mère du roi juif Asa fut sa grande prêtresse[1].

« Quoi qu’il en soit, il est très-vraisemblable que jamais aucun peuple n’établit ni ne put établir un culte par libertinage. La débauche s’y glisse quelquefois dans la suite des temps ; mais l’institution est toujours innocente et pure. Nos premières agapes, dans lesquelles les garçons et les filles se baisaient modestement sur la bouche, ne dégénérèrent qu’assez tard en rendez-vous et en infidélités ; et plût à Dieu que je pusse sacrifier avec miss Fidler devant la reine Obéira en tout bien et en tout honneur ! Ce serait assurément le plus beau jour et la plus belle action de ma vie. »


M. Sidrac, qui avait jusque-là gardé le silence, parce que MM. Goudman et Grou avaient toujours parlé, sortit enfin de sa taciturnité, et dit : « Tout ce que je viens d’entendre me ravit en admiration. La reine Obéira me paraît la première reine de l’hémisphère méridional ; je n’ose dire des deux hémisphères. Mais parmi tant de gloire et tant de félicité, il y a un article qui me fait frémir, et dont M. Goudman vous a dit un mot auquel vous n’avez pas répondu. Est-il vrai, monsieur Grou, que le capitaine Wallis, qui mouilla dans cette île fortunée avant vous, y porta les deux plus horribles fléaux de la terre, les deux véroles ?

— Hélas ! reprit M. Grou, ce sont les Français qui nous en accusent, et nous en accusons les Français. M. Bougainville dit que ce sont ces maudits Anglais qui ont donné la vérole à la reine Obéira ; et M. Cook prétend que cette reine ne l’a acquise que de M. Bougainville lui-même. Quoi qu’il en soit, la vérole ressemble aux beaux-arts : on ne sait point qui en fut l’inventeur ; mais, à la longue, ils font le tour de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique.

  1. Troisième livre des Rois, chapitre xv ; et Paralipomènes, II, chapitre xv. (Note de Voltaire.)