Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
2765. — À M. DE CIDEVILLE.
À Plombiéres, le 9 juillet.

Mon cher et ancien ami, quoique chat échaudé ait la réputation de craindre l’eau froide, cependant j’ai risqué l’eau chaude. Vous savez que j’aimerais bien mieux être auprès des naïades de Forges que de celles de Plombières ; vous savez où je voudrais être, et combien il m’eût été doux de mourir dans la patrie de Corneille, et dans les bras de mon cher Cideville ; mais je ne peux ni passer ni finir ma vie selon mes désirs. J’ai au moins auprès de moi, à présent, une nièce qui me console en me parlant de vous. Nous ne faisons point de châteaux en Espagne, mais nous en faisons en Normandie[1]. Nous imaginons que quelque jour nous pourrions bien vous venir voir. Elle m’a parlé, comme vous, du poëme de l’Agriculture[2]. C’était à vous à le faire et à dire :


Ô fortunatos nimium, sua nam bona noscunt !

(Virg., Georg., II, v. 458.)

Pour moi, je dis :


Nos · · · · · · · · · · · · · · · dulcia linquimus arva ;

(Virg., ecl. i, v. 3.)


mais ne me dites point de mal des livres de dom Calmet.


Ses antiques fatras ne sont point inutiles ;
Il faut des passe-temps de toutes les façons,
Et l’on peut quelquefois supporter les Varrons,
Quoiqu’on adore les Virgiles.


D’ailleurs il y a cent personnes qui lisent l’histoire, pour une qui lit les vers. Le goût de la poésie est le partage du petit nombre des élus. Nous sommes un petit troupeau, et encore est-il dispersé. Et puis je ne sais si, à mon âge, il me siérait encore de chanter. Il me semble que j’aurais la voix un peu rauque. Et pourquoi chanter


deserti ad Strymonis undam ?

(Virg., Georg., IV, V. 508.)
  1. À Launay ; voyez lettre 2663.
  2. Le poëme de l’Agriculture, par Rosset, ne fut publié qu’en 1774, in-4°. Voltaire écrivit à cet auteur, le 22 avril de cette année, une longue lettre qu’on peut voir dans la Correspondance.