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car on veut être sobre ; 5° on y philosophe tout aussi mal que dans les grandes villes ; et, en dernier lieu, on ne sait pas ce qu’on deviendra. Voilà en raccourci le tableau de la vie des nouveaux hôtes de Prangins, et ce tableau doit vous paraître tant soit peu gothique. J’ai oublié un trait à la miniature : c’est un jeune homme triste, toujours écrivant à côté d’un mourant qui roule des yeux pleins de vie et de colère. Vous le connaissez, monsieur, ce jeune homme ; il se recommande toujours à vos bontés, et il voudrait pouvoir à son tour quitter le lac, le château, et tous ceux qui l’habitent, pour venir vous revoir. Ne m’oubliez donc pas : vous m’avez promis de penser à moi.

Je voudrais pouvoir vous dire ici quelque chose qui pût vous amuser ; mais quoi ? qu’on a battu des mains quand, à Lyon, M. de V… a paru à la comédie ? qu’on l’a apostrophé aux séances des académies, en l’appelant homme illustre ? qu’on lui a gardé les portes de Genève une demi-heure pour le laisser entrer ? Vous ne vous souciez guère de tout ça, ni moi non plus.

J’ai été bien sensible à la mort de M. Goll. Je disais, lorsque j’étais à Colmar, que notre philosophe aurait enterré toute la maison où il logeait : en voilà un d’expédié. Les visages secs et blêmes sont excellents pour tromper le monde, et pour prêter de l’argent à 15 ou 20 pour cent[1].

Quoique je ne veuille avoir de vous aucune réponse, mon grand plaisir est de vous écrire. Vous voudriez sans doute que je me privasse de ce plaisir, mais je ne suis point du tout de votre avis. Je suis voluptueux ; et, pour vous le prouver, je vous écrirai toujours. Je sais que ma première lettre vous est parvenue.

Je vous prie de me recommander à ceux qui ont eu quelques bontés pour moi, et de faire agréer à Mme Dupont les assurances de mon respect. Je serai toute ma vie, avec le dévouement le plus tendre, votre très-humble et très-obéissant serviteur.


C. …

2387. — DE CHARLES-THÉODORE,
électeur palatin.
Manheim, le 29 décembre.

Je vous suis bien obligé, monsieur, de la part que vous avez prise à la maladie que j’ai essuyée, et qui m’a empêché de répondre à vos dernières lettres[2]. Dans l’état où j’étais, je n’aurais pu qu’à peine signer ma dernière volonté. Dans cette triste situation, je me faisais lire Zadig ; et si les chapitres de Misouf, du nez coupé, et des mages corrompus par une femme qui voulait sauver Zadig, m’ont égayé, celui de l’ermite et les réflexions

  1. Voyez la lettre de Voltaire à M. Jean Maire, du 23 août 1769, et la note jointe à cette lettre.
  2. Perdues, ou restées inconnues, comme plusieurs autres lettres de Voltaire à l’électeur Palatin.