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2886. — À M. LE DUC DE LA VALLIÈRE[1].

Des bords du lac, 26 février.

Quelle lubie vous a pris, monsieur le duc ! Je ne parle pas d’être philosophe à la cour : c’est un effort de sagesse dont votre esprit est très-capable. Je ne parle pas d’embellir Montrouge comme Champs : vous êtes très-digne de bien nipper deux maîtresses à la fois. Je parle de la lubie de daigner relancer du sein de vos plaisirs un ermite des bords du lac de Genève, et de vous imaginer que


Dans ma vieillesse languissante
la lueur faible et tremblante
D’un feu prés de se consumer
Pourrait encor se ranimer
À la lumière étincelante
De cette jeunesse brillante
Qui peut toujours vous animer.


C’est assurément par charité pure que vous me faites des propositions. Quel besoin pourriez-vous avoir des réflexions d’un Suisse, dans la vie charmante que vous menez ?


Les matins on vous voit paraître
Dans la meute des chiens courants.
Et dans celle des courtisans,
Tous bons serviteurs de leur maître ;
Avec grand bruit vous le suivez
Pour mieux vous éviter vous-même,
Et le soir vous vous retrouvez.
Votre bonheur doit être extrême
Alors qu’avec vous vous vivez.
À vos beaux festins vous avez
Une troupe leste et choisie
D’esprits comme vous cultivés,
Gens dont les goûts non dépravés,
En vins, en prose, en poésie.
Sont des bons gourmets approuvés,


  1. Louis-César Le Blanc de La Baume, d’abord duc de Vanjour (cité sous ce nom dans la lettre 661), et ensuite duc de La Vallière, naquit le 9 octobre 1708, et mourut le 16 novembre 1780. Il était petit-neveu de la duchesse de La Vallière, l’une des maîtresses de Louis XIV. Il épousa, en 1732, Anne-Julie de Crussol d’Uzès. Le duc de La Vallière était capitaine des chasses, etc., et grand-fauconnier de France, depuis 1748.