Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/194

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184 LE TRIU^IVIHAT.

Je l’ai vu dos plaisirs cherchor Ja folle ivresse ;

Je l’ai vu des Gâtons affecler la sagesse. —Après m’avoir offert un criminel, amour, —^^e Protide à ma rliaîno échappa sans retour.

Tantôt il est alTable, et tantôt sanguinaire :

Il adore Julie, il a proscrit son père ;

11 liait, il craint Antoine, et lui donne sa sœur

\ntoine est forcené, mais Octave est trompeur.

Ce sont là les héros qui gouvernent la terre ;

Citliéi-is, qu’il caressait publiquomont eu insultant au peuple romain. Cicéron lui i-cproclie encore un pareil voyage fait aux dépens des peuples, avec une baladine nommée Hippias et des farceurs. C’était un soldat grossier, qui jamais, dans ses débauches, n’avait eu de respect pour la bienséance ; il s’abandonnait à la plus honteuse ivrognerie et aux plus infâmes excès. Le détail de toutes ces horreurs passera à la dernière postérité, dans les Philippiques de Cicéron : Sed jam stiipra et flaçiitia omittam : sunt quœdam quœ honeste non possum dicere, etc. (Philip. 2.) Voilà Cicéron qui n’ose dire devant le sénat ce qu’Antoine a osé faire ; preuve bien évidente que la dépravation des mœurs n’était point autorisée à Rome, comme on l’a prétendu. Il y avait même des lois contre les gitons, qui ne furent jamais abrogées. 11 e>t vrai que ces lois ne punissaient point par le feu un vice qu’il faut tacher de prévenir, et qu’il faut souvent ignorer. Antoine et Octave, le grand César et Sylla, furent atteints de ce vice ; mais on ne le reprocha jamais aux Scipion, aux Métellus, aux Caton, aux Brutus, aux Cicéron : tous étaient des gens de bien ; tous périrent cruellement.

Leurs vainqueurs furent des brigands plongés dans la débauche. On ne peut pardonner aux historiens flatteurs ou séduits qui ont mis de pareils monstres au rang des grands hommes ; et il faut avouer que Virgile et Horace ont montré plus de bassesse dans les éloges prodigués à Auguste, qu’ils n’ont déployé de goût et de génie dans ces tristes monuments de la plus lâche servitude.

Il est difficile de n’être pas saisi d’indignation en lisant, à la tête des Géorgiques, qu’Auguste est un des plus grands dieux, et qu’on ne sait quelle place il daignera occuper un jour dans le ciel, s’il régnera dans les airs, où s’il sera le protecteur des villes, ou bien s’il acceptera l’empire des mers.

An deus immensi venias maris, ac tua nauta- Numina sola colant : tibi serviat ultima Thule.

L’Arioste parle bien plus sensément, comme aussi avec plus de grâce, quand il dit dans son admirable trente-cinquième chant :

Non fu si sânto, ne benigno Augusto,

Corne la tuba di Virgilio suona ;

L’aver avuto in poesia buon gusto,

La proscrivions iniqua gli perdona, etc. (Ott. xïvi.)

Tacite fait aisément comprendre comment le peuple romain s’accoutuma enfin au joug de ce tyran habile et heureux, et comme les lâches fils des plus dignes n-publicains crurent être nés pour l’esclavage. Nul d’eux, dit-il, n’avait vu la république. (IS’otede Voltaire.)

’ Presque toute cette note se trouve dans le Dictionnaire philosophique, sous la rubriquo Aloostk Octave.