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ACTE III, SCÈNE I. 209

Les Scipion sont morts aux désorts de Cartliagé ; Cicéron, tu n’es plus-, et ta tête et tes mains

ot quo sa vie ost inutile, il sort de la vie sans écouter un moment l’instinct qui nous attache à elle ; il se rejoint à FKtre dos ùtres, loin do la tyrannie. On trouve dans les odes do Lamotto un couplet contre Caton :

Caton, d’une âme plus égale,

Sous l’heureux vainqueur de Pliarsalo

Eût soulTerl que i’iiouime pliât ;

Mais, incapable de se rendre,

Il n’eut pas la force d’attendre

Un pardon qui l’humiliât.

On voit dans ces vers quelle est l’énorme différence d’un bourgeois de nos jours et d’un héros de Rome. Caton n’aurait pas eu une âme égale, mais très-inégale, si, ajant toute sa vie.soutenu lu cause divine de la liberté, il l’otit enfin abandonnée. On lui reproche ici d’être incapable de se rendre, c’est-à-dire d’être incapable de lâcheté. On prétend qu’il devait attendre son pardon ; on le traite comme s’il ei^it été un rebelle révolté contre son souverain légitime et absolu, auquel il aurait fait volontairement serment de fidélité.

Les vers de Lamotte sont d’un cœur esclave qui cherche de l’esprit. Je rougis quand je vois quels grands hommes de l’antiquité nous nous efforçons tous les jours de dégrader, et quels hommes communs nous célébrons dans notre petite sphère.

D’autres, plus méprisables, ont jugé Caton par les principes d’une religion qui no pouvait être la sienne, puisqu’elle n’existait pas encore ; rien n’est plus injuste ni plus extravagant. Il faut le juger par les principes de Rome, do l’héroïsme et du stoïcisme, puisqu’il était Romain, héros et stoïcien. {Note de Voltaire.)

1. Je ne sais pas ce que l’auteur entend par ce vers. Je ne connais que Métellus Scipion qui fit la guerre contre César en Afrique, conjointement avec le roi Juba. Il perdit la grande bataille de Tapsa ; et voulant ensuite traverser la mer d’Afrique, la flotte de Lésar coula son vaisseau à fond. Scipion périt dans les flots, et non dans les déserts. J’aimerais mieux que l’auteur eiît mis :

Les Scipion sont morts aux syrtos de Carthage.

Il faut de la vérité autant qu’on le peut. {Note de Voltaire.)

■2. Je remarquerai, sur le meurtre de Cicéron, qu’il fut assassiné par un tribun militaire nommé Popilius Lœnas, pour lequel il avait daigné plaider, et auquel il avait sauvé la vie. Ce meurtrier reçut d’Antoine 200,000 livres de notre monnnio pour la tête et les deux mains de Cicéron, qu’il lui apporta dans le forum. Antoine les fit clouer à la tribune aux harangues. Les siècles suivants ont vu des assassinats, mais aucun qui fût marqué par une si horrible ingratitude, ni qui ait été payé si chèrement. Les assassins de Valstein, du maréchal d’Ancre, du duc de Guise le Balafré, du duc de Parme Farnèse, bâtard du pape Paul III, et de tant d’autres, étaient à la vérité des gentilshommes, ce qui rend leur attentat encore plus infâme ; mais du moins ils n’avaient pas reçu de bienfaits des princes qu’ils massacrèrent : ils furent les indignes instruments de leurs maîtres ; et cela ne prouve que trop que quiconque est armé du pouvoir, et peut donner de l’argent, trouve toujours des bourreaux mercenaires quand il le veut : mais des bourreaux gentilshommes, c’est là ce qui est le comble de l’infamie.

Remarquons que cette horreur et cette bassesse ne furent jamais connues dans le temps de la chevalerie : je ne vois aucun chevalier assassin pour de l’argent.

Si l’auteur de l’Esprit des lois avait dit que l’honneur était autrefois le ressort et le mobile de la chevalerie, il aurait eu raison ; mais prétendre que l’hon-

6. — Théâtre. V. U