Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome6.djvu/220

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« 210 LE TRIUMVIRAT.

Ont servi do troi)lue aux derniers des humains.

i\Ion sort va me rejoindre à ces grandes victimes.

Le fer des Achillas et celui des Septimes,

D’un vil roi de TÉgypte instruments criminels,

Ont lait couler le sang du plus grand des mortels >.

neur est le mobile de la monarchie, après les assassinats à prix foit du maréchal d’Ancre et du duc de Guise, et après que tant de gentilshommes se sont faits bourreaux et archers, après tant d’autres infamies de tous les genres, cela est aussi peu convenable que de dire que la vertu est le mobile des républiques. Rome était encore république du temps des proscril)tions de Sylla, do Marius, et des triumvirs. Les massacres d’Irlande, la Saint-Barthélcmy, les Vêpres siciliennes, les assassinats des ducs d’Orléans et de Bourgogne, le faux monnayage, tout cela fut commis dans des monarchies.

Revenons à Cicéron. Quoique nous ayons ses ouvrages, Saint-Kvremond est le premier qui nous ait avertis qu’il fallait considérer en lui l’homme d’État et le bon citoyen. Il n’est bien connu que par l’histoire excellente que Middleton nous a donnée de ce grand homme [Vllistoh-e de Cicéron par Middleton a été traduite en français par l’abbé Prévost J. Il était le meilleur orateur de son temps et le meilleur philosophe. Ses Tusculanes et son Traité de la Nature des dieux, si bien traduits par l’abbé d’Olivet, et enrichis de notes savantes, sont si supérieurs dans leur gem-e que rien ne les a égalés depuis, soit que nos bons auteurs n’aient pas osé prendre un tel essor, soit quils n’aient pas eu les ailes assez fortes. Cicéron disait t&ut ce qu’il voulait ; il n’en est pas ainsi parmi nous. Ajoutons encore que nous n’avons aucun traite de morale qui approche de ses Offices : et ce n’est pas faute de liberté que nos auteurs modernes ont été si au-dessous de lui en ce genre ; car de Rome à Madrid on est sûr d’obtenir la permission d’ennuyer en moralités.

Je doute que Cicéron ait été un aussi grand homme en politique. Il se laissa tromper à Tàge de soixante-trois ans par le jeune Octave, qui le sacrifia bientôt au ressentiment de Marc-Antoine. On ne vit en lui ni la fermeté do Brutus, ni la circonspection d’Atticus ; il n’eut d’autre fonction, dans l’armée du grand Pompée, que celle de dire des bons mots. Il coiu-tisa ensuite César : il devait, après avoir prononcé les Philippiques, les soutenir les armes à la main. Mais je m’arrête ; je ne veux pas faire la satire de Cicéron. {Note de Voltaire.)

1. Je propose ici une conjecture. Il me semble que l’intérêt des ministres du jeune Ptolémée, âgé de treize ans, n’était point du tout d’assassiner Pompée, mais de le garder en otage, comme un gage des faveurs qu’ils pouvaient obtenir du vainque tir, et comme un homme qu’ils pouvaient lui opposer s’il voulait les opprimer.

Après la victoire de Pliarsale, César dépêcha des émissaires secrets à Rhodes, pour empêcher qu’on ne reçût Pompée. Il dut, ce me semble, prendre les mêmes précautions avec l’Égypte : il n’y a personne qui, en pareil cas, négligeât un inté- rêt si important. On peut croire que César prit cette précaution nécessaire, et que les Égyptiens allèrent plus loin qu’il ne voulait : ils crurent s’assurer de sa bienveillance en lui présentant la tête de Pompée. On a dit qu’il versa des larmes en la voyant ; mais ce qui est bien plus sûr, c’est qu’il ne vengea point sa mort ; il ne punit point Septime, tribun romain, qui était le plus coupable de cet assassinat ; et lorsque ensuite il fit tuer Achillas, ce fut dans la guerre d’Alexandrie, et pour un sujet tout différent. Il est donc très-vraisemblable que si César n’ordonna pas la mort de Pompée, il fut au moins la cause très-prochaine de cette mort. L’impunité accordée à Septime est une preuve bien forte contre César. Il aurait pardonné à. Pompée, je le crois, s’il l’avait eu entre ses mains ; mais je crois aussi qu’il ne le regretta pas ; et une pi-euve indubitable, c’est que la première chose