Page:Young - Voyages en France en 1787, 1788 et 1789.djvu/29

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plus cruelle. La plus jeune de ses filles, celle qui devait rester la dernière à embellir son foyer, qu’à ce titre il chérissait davantage, lui fut enlevée à l’âge de quatorze ans, à cet âge où les grâces, les affections s’épanouissent comme pour récompenser les parents des soins et des soucis inséparables de la première enfance. Il sentit ensuite les premières atteintes d’un mal qui pendant dix ans ne cessa de faire des progrès ; en vain il tenta l’opération de la cataracte, la cécité complète arriva, doublement douloureuse pour un homme aussi plein d’ardeur pour le travail. Ni cette infirmité, ni les souffrances toujours croissantes d’une maladie de la vessie ne purent venir à bout de son activité. Il ne connut de repos que le 20 février 1820, jour de sa mort. Il l’avait bien mérité, ce repos, et le monde entier lui rendit le témoignage que trente ans auparavant il souhaitait si énergiquement qu’il lui fût accordé : « qu’il avait fait assez pour son pays pour que celui-ci lui manifestât un intérêt plus grand que si toute son existence se fût renfermée en ces mots : il mangea, but et dormit, puis tomba dans l’oubli final, sans laisser de traces dans la mémoire des hommes ».

Pendant des années et des années, il s’occupa de condenser dans un traité magistral les fruits de son expérience ; mais comme il était de ceux qui n’ont jamais fini d’apprendre, jamais non plus il ne se put résoudre à publier une œuvre dont tantôt telle partie, tantôt telle autre ne se trouvait plus au courant des connaissances acquises. Peut-être ne soupçonna-t-il pas que les Annales étaient le véritable ouvrage que comportait son génie, et que les Éléments d’agriculture demandaient une autre tournure d’esprit, une faculté de généralisation dont il était totalement dépourvu ; on ne s’en aperçoit que trop dans ses statistiques aventureuses. Il aurait dû le reconnaître et s’en reposer sur son ami, son émule, son compagnon, sir John