Page:Zola - Travail.djvu/147

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fût tombée, Jordan regarda autour de lui, si heureux de rentrer dans son existence accoutumée, qu’il en poussait des cris de joie. Il lui semblait qu’il revenait là, après une absence de plusieurs semaines. Comment pouvait-on trouver du plaisir à courir les routes, lorsque tout le bonheur humain tenait dans le coin étroit où l’on pensait, où l’on travaillait débarrassé du souci de vivre par le pli de l’habitude ? Et, en attendant que Sœurette fît servir le dîner, il se hâta de se laver à l’eau tiède, il voulut absolument emmener Luc dans son laboratoire, brûlant lui-même de s’y retrouver, disant avec son léger rire qu’il ne dînerait pas de bon cœur, s’il ne respirait pas un peu d’abord l’air de la pièce où il passait son existence.

« Mon bon ami, c’est encore mon odeur préférée… Ma foi, oui ! de toutes les odeurs, celle que j’aime encore le mieux est l’odeur de la pièce où je travaille… Elle m’enchante et me féconde. »

Le laboratoire était une vaste salle, très haute, construite en fer et en briques, et dont les larges baies donnaient sur les verdures du parc. Une immense table tenait le milieu, chargée d’appareils, tandis que tout un outillage compliqué garnissait les murs, avec des modèles, des ébauches de projets, des réductions de fours électriques, dans les coins. Volant d’un bout à l’autre de la salle, un réseau de câbles et de fils apportait la force du hangar voisin où se trouvait la machine, la distribuait aux appareils, aux outils, aux fours, pour les expériences. Et, au milieu de cette sévérité scientifique un peu rude, devant une des baies, une sorte de retraite moelleuse et tiède était aménagée, un coin de tendre intimité, des bibliothèques basses, des fauteuils profonds, le divan où le frère sommeillait à des heures réglées, la petite table où s’asseyait la sœur, veillant sur lui, collaborant en secrétaire fidèle.