Page:Zola - Travail.djvu/455

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travailleurs  ? Sa descendance n’allait-elle pas désormais s’épanouir, se répandre, pour la conquête de tous les biens et de toutes les joies de la terre  ? Et la sève était déjà tarie chez ses petits-fils, la vie de richesse mal vécue avait consumé l’amas lointain des forces ancestrales, en moins d’un demi-siècle.

Quelle amertume, lorsque le triste grand-père, le témoin suprême demeuré debout au milieu de tant de ruines, ne trouvait plus devant lui que le doux Paul, si fin, si délicat, dernier cadeau de la vie, qui semblait avoir voulu laisser aux Qurignon ce précieux rejeton, afin de repousser et de refleurir dans la terre nouvelle  ! Et quelle ironie douloureuse, qu’il restât seulement, à cette heure, cet enfant paisible et réfléchi, dans cette Guerdache énorme, cette habitation royale, achetée très cher autrefois par M. Jérôme, dans l’espoir et l’orgueil de la peupler un jour de ses nombreux descendants  ! Il en voyait les appartements si vastes occupés par dix ménages, il y entendait les rires d’une troupe sans cesse accrue de garçons et de filles, c’était le domaine familial, heureux, luxueux, où régnerait la dynastie de plus en plus féconde des Qurignon. Puis, voilà, au contraire, que les appartements s’étaient vidés chaque jour davantage, l’ivresse, la folie, la mort avaient passé, faisant leur œuvre destructive  ; une dernière corruptrice était venue, qui avait achevé de ruiner la maison  ; et, depuis la dernière catastrophe, on fermait les deux tiers des appartements, tout le second étage était abandonné à la poussière, les salons de réception eux-mêmes, au rez-de-chaussée, s’ouvraient seulement le samedi, pour permettre au soleil d’entrer. La race allait finir, si Paul ne la relevait pas, et l’empire où elle aurait dû prospérer n’était plus qu’une grande demeure vide, trop lourde aux épaules du ménage désuni, et qui allait s’émietter peu à peu dans l’abandon, si on ne lui rendait pas une vie nouvelle.