Page:Zola - Travail.djvu/506

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tout le poids vis-à-vis des personnes distinguées de notre classe… Nous allons aux abîmes.  »

On était assis dans une ombre tiède, que parfumaient les roses grimpantes, devant une table au gai linge de couleur, chargée de petits gâteaux  ; et Châtelard, toujours correct et portant beau, malgré son âge, eut un de ses sourires d’ironie discrète.

«  Mais nous y sommes, aux abîmes, cher monsieur Mazelle. Vous auriez bien tort de vous gêner pour le gouvernement, pour l’Administration, et même pour le beau monde  ; car, voyez-vous, tout cela n’existe désormais qu’en apparence… Sans doute, je suis toujours sous-préfet, et mon ami Gourier est toujours maire. Seulement, comme il n’y a plus derrière nous d’État réel et solide, nous ne sommes guère que des fantômes… Et il en va également des puissants et des riches dont le pouvoir et la fortune sont emportés un peu chaque jour par la nouvelle organisation du travail. Aussi, ne vous donnez donc pas la peine de les défendre, puisque eux-mêmes, cédant au vertige, deviennent les ouvriers actifs de la révolution… Allez, allez  ! ne résistez pas, abandonnez-vous  !   »

Il aimait ce genre de plaisanterie, qui terrifiait les derniers bourgeois de Beauclair. C’était d’ailleurs une façon aimable de dire la vérité en plaisantant, dans la conviction où il était que le vieux monde était fini et qu’un monde nouveau naissait des décombres. À Paris, les plus graves événements s’accomplissaient, le vieil édifice tombait pierre à pierre, faisant place à toute une construction transitoire, où s’indiquait nettement déjà la Cité future de justice et de paix. Et ces choses lui donnaient raison, il était heureux de s’être fait oublier dans ce coin de province, en y gouvernant le moins possible, certain maintenant d’y mourir de sa belle mort, avec le régime qu’il portait depuis de longues années