Page:Zola - Vérité.djvu/286

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le savez bien pourtant, ce que gagne le curé, l’instituteur le perd.

Mais Jauffre, en homme qui avait des rentes, et très content d’ailleurs de son acte, se montra écrasant de pitoyable dédain.

— Mon pauvre camarade, avant de juger les autres, vous devriez bien avoir de quoi mettre des chemises aux derrières de vos filles.

Alors, Férou perdit toute mesure. Hérissé, sauvage, il agita ses grands bras, il cria :

— Tas de calotins ! tas de jésuites ! promenez-le donc, adorez-le donc, votre cœur de bœuf éventré, et mangez-le tout cru, et soyez-en, s’il est possible, plus inhumains et plus stupides encore !

On s’était attroupé autour du blasphémateur, il y eut des huées, des menaces, et les choses allaient mal tourner pour lui, si Saleur, en maire prudent, inquiet pour le bon renom de sa commune, ne l’avait dégagé de la foule hostile et emmené à son bras.

Le lendemain, l’incident fut grossi, on parla partout d’un exécrable sacrilège. Le Petit Beaumontais raconta que l’instituteur du Moreux avait craché sur le drapeau national du Sacré-Cœur, au moment où le digne abbé Cognasse bénissait ce divin emblème de la France repentante et sauvée. Puis, dans le numéro suivant, il annonça comme certaine la révocation de l’instituteur Férou.

Si la nouvelle était vraie, cette révocation devait avoir pour celui-ci une grave conséquence, la nécessité de faire immédiatement ses trois ans de service militaire, car son engagement décennal n’était pas rempli, il lui restait à servir dans l’Université pendant trois années encore, avant d’être complètement exempté. Et pendant qu’il serait à la caserne, que deviendraient sa femme et ses trois filles, les misérables créatures dont il n’assurait